Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII.djvu/102

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opération assez importante pour s’y arrêter si longtemps, et que l’on abrégerait beaucoup en la faisant faire par des commissaires de l’ordre.

Les partisans de l’autre avis soutiennent que c’est aux Etats généraux, composés des trois ordres, à vérifier les pouvoirs ; que les élections ayant été sanctionnées par les trois ordres de chaque bailliage, et les députés ayant prêté serment en présence des trois ordres, c’est devant les commissaires des trois ordres qu’ils doivent justifier de leur mandat.

M. le vicomte de Castellane, le duc de Liancourt, le marquis de Lafayette, les députés du Dauphiné, ceux de la sénéchaussée d’Aix en Provence, et le député d’Amont appuient ce dernier avis. Il n’obtient cependant que 47 voix contre 188.

M. le comte de Crillon, député de Beauvais, a fait une protestation en ces termes : Je déclare que je suis dans la plus ferme opinion que c’est bien moins pour maintenir que pour établir la constitution, que nous sommes tous appelés ; et comme le veto me paraît essentiellement contraire à la liberté de la nation, nécessaire pour créer un ordre de choses qui amène la prospérité nationale, et pour abolir les abus de tous genres sous lesquels la nation gémit depuis tant de siècles, je demande acte que je me suis opposé, autant qu’il était en moi ; à la sanction duveto pour la tenue actuelle des Etats généraux, que je regarde comme régénérateurs bien plus que comme conservateurs. Mon mandat, conforme à ma raison et au sentiment de ma conscience, me prescrit de demander, que lorsque les ordres diffèrent d’opinion sur une question importante, les ordres se réunissent et opinent par tête. Je supplie la Chambre de permettre que ma déclaration soit annexée au procès-verbal.

M. Fréteau fait la motion de suspendre toute délibération jusqu’à ce que la ville de Paris ait nommé ses députés, parce qu’elle ne pourra-être regardée comme complète qu’autant que ses députés auront eu le temps physiquement nécessaire pour s’y rendre.

Douze des plus âgés de l’Assemblée sont nommés commissaires vérificateurs des pouvoirs. La séance est levée et ajournée à lundi prochain.

COMMUNES.


Le gouvernement a fait afficher ce matin le placard suivant :

« DE PAR LE ROI,

« Sa Majesté ayant fait connaître aux députés des trois ordres l’intention où elle était qu’ils s’assemblassent dès aujourd’hui 6 mai, les députés sont avertis que le local destiné à les recevoir sera prêt à neuf heures du matin. »

Une proclamation du héraut d’armes confirme ce placard. Les membres des communes se rendent au lieu indiqué, où ils attendent vainement jusqu’à deux heures et demie. Les deux autres ordres, qui n’y sont pas venus, comme on l’a su bientôt après, étaient assemblés dans des chambres voisines.

Ce défaut de réunion excite un grand murmure dans l’assemblée des communes.

M. Leroux, en sa qualité de député le plus âgé, est chargé de rappeler l’ordre. Il choisit six assistants aussi parmi les plus anciens. — La discussion est très-tumultueuse.

M. Malouet, député d’Auvergne[1]. Nous avons tous assisté, comme représentants de la nation, à l’ouverture solennelle des Etats généraux, et le même titre, constaté seulement par nos bailliages respectifs, nous réunit aujourd’hui. Une invitation indirecte du souverain, ou la volonté présumée des deux premiers ordres, distribua en trois Chambres différentes l’universalité des membres qui composent l’Assemblée nationale ; et les représentants des communes se trouvent séants dans cette salle.

Avant de connaître les opinions diverses qui doivent s’élever et prévaloir parmi nous, je ne crois pas que celle d’établir une police provisoire et un moyen préalable de délibération, puisse être combattue ; et je ne conçois pas qu’une forme quelconque d’opiner, un parti à prendre quel qu’il soit, dans une grande Assemblée, puisse être arrêté sans délibération.

Permettez-moi donc de vous représenter que nous devons à la dignité de la nation, au nom de laquelle nous allons parler et agir, de nous soumettre, par un premier mouvement d’ordre public, à la forme la plus simple et la plus sûre pour faire connaître à chacun les intentions de tous.

La présidence du doyen, l’assistance des anciens, et le silence de l’Assemblée, lorsque l’un des anciens, ou l’un de Messieurs, avec leur permission, prendront la parole, sont des préliminaires indispensables, qui produiront une discussion régulière de la proposition que je vais avoir l’honneur de vous faire. Elle se réduit à envoyer des députés aux deux premiers ordres, pour leur annoncer que les représentants des communes, réunis en la salle des Etats, désirent instamment que MM. les députés du clergé et de la noblesse viennent prendre séance en l’Assemblée nationale, pour procéder à la vérification des pouvoirs respectifs et accélérer l’instant où nous pourrons, par une députation des Etats généraux, présenter au Roi les remercîments, les vœux et les hommages de la nation.

M. le comte de Mirabeau. Nous ne devons nous regarder, jusqu’à ce que nos pouvoirs soient vérifiés, que comme une agrégation d’individus qui peuvent conférer amicalement, mais qui n’ont aucun caractère pour agir : il faut porter le respect du principe jusqu’à refuser d’ouvrir les lettres qui sont adressées aux communes et remises dans cette salle. Laissons du temps aux ordres privilégiés pour réfléchir, soit à l’inconséquence du système de séparation provisoire, puisque tous les ordres ont un intérêt égal à la vérification des pouvoirs de chaque ordre, à l’absurdité qu’il y aurait à confondre leur vérification et leur légitimation, et à soutenir que les pouvoirs des représentants de la nation ne doivent pas être légitimés par l’Assemblée nationale ; soit enfin aux dangers d’une scission que leur opiniâtreté, sur ce premier et important acte de juridiction, pourrait entraîner.

M. Mounier. Je pense qu’une semblable démarche compromettrait l’intérêt des communes ;

  1. Le discours de M. Malouet n’a pas été inséré au Moniteur.