Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII.djvu/96

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[États généraux.] AKCH1VES PARLEMENTAIRES. P mai 1789.]

riez à vous occuper. Et comme ont doit être persuadé, Messieurs, que bientôt un même sentiment vous réunira, comme on ne peut douter que mille ou douze cents députés de la nation française ne se sépareront pas sans avoir fait sortir de terre les fondements de la prospérité publique, je me représente à l’avance ce jour éclatant et magnifique, où le Roi, du haut de son trône, écouterait, au milieu d’une Assemblée auguste et solennelle, le rapport que viendraient faire les députés de chaque province. Je les vois ces députés, impatients de mériter l’approbation de leur souverain et les louanges de la nation, je les vois s’arrêter avec orgueil et à l’envi sur les moyens que leurs Etats auraient employés pour ajouter au bonheur du peuple, ou pour alléger le poids de son infortune ; je les vois attentifs à recevoir les uns des autres quelque lumière nouvelle ou quelque notion bienfaisante, afin de les rapporter soigneusement à l’administration dont ils font partie.

Je vois Sa Majesté remarquer ceux dont le zèle et les connaissances auraient le plus d’éclat, et se servir, pour exciter l’amour du bien public, des divers moyens d’émulation qui sont déposés entre les mains du monarque.

Ah ! qu’il serait beau ce moment où, par le concours des lumières de tout un peuple, on découvrirait avec certitude le bien qu’on peut faire dans un royaume tel que la France ! Ah ! qu’il serait beau ce moment où, par une rivalité généreuse, après avoir connu ce bien, on s’empresserait de le faire !

Ce n’est pas seulement pour former et constituer sagement des Etats particuliers dans les provinces où il n’y en a point encore, que le Roi aura besoin de vos conseils et de vos réflexions ; Sa Majesté attend de vous que vous l’aidiez à régler plusieurs contestations qui se sont élevées sur la constitution des anciens Etats de quelques provinces ; Sa Majesté désire que sa justice soit éclairée ; elle désire faire le bonheur de ses peuples sans exciter de réclamation légitime ; elle désire tenir une exacte balance entre les prétentions des divers ordres de son royaume ; enfin, uu milieu des intérêts contraires qui agitent les esprits, elle est inquiète lorsque la route la meilleure et la plus sûre n’est pas évidemment tracée. Vous fixerez ses doutes, vous viendrez assurer sa marche et vous l’aiderez à rendre à tous ses sujets une parfaite justice.

Je ne dois point retracer ici, Messieurs, les grands objets de bien public sur lesquels M. le garde des sceaux vient d’arrêter votre attention ; il n’en est aucun qui ne soit de la plus grande importance, et l’énuméraiion seule de leurs titres suffit pour en imposer aux imaginations les plus hardies. Qui pourrait en effet entendre sans émotion la simple dénomination de tant de travaux si dignes d’occuper successivement l’intérêt d’une nation ? L’amélioration des lois civiles et des lois criminelles ; la douce modification des peines ; la réduction des frais de justice ; l’accélération des procédures ; la détermination des degrés de distances convenables entre la résidence des tribunaux et le domicile de ceux qui ont recours à la justice souveraine ; la détermination des degrés de restriction ou de facilité qu’il faut accorder à la publicité de toutes les opinions et de tous les écrits ; la connaissance des temps où la sauvegarde des lois suflit au maintien de l’ordre public, et l’examen aussi des circonstances où cet ordre dépend des actes rapides de l’autorité ; la recherche de tous les soins propres à établir une parfaite harmonie entre l’exercice des nouvelles fonctions qui seront attribuées aux tribunaux et la célérité indispensable dans cette multitude de circonstances où le gouvernement seul était appelé à intervenir ; la recherche plus délicate encore des moyens de concilier l’austère, l’inflexible et surtout l’uniforme application des lois avec ces habitudes de ménagements et d’égards dont quelques-unes tiennent de si près aux mœurs nationales ; l’étude encore des difficultés auxquelles on s’exposerait si l’on abandonnait trop rapidement les usages assortis aux préjugés de l’honneur, pour adopter en entier ces principes de justice abstraite qui assujettissent à leur domination tous les rangs indistinctement, tous les état ?, toutes les personnes. Oui, Messieurs, vous apercevrez sûrement qu’il e ?t des abus, qu’il est des erreurs de gouvernement dont les racines s’entremêlent invisiblement avec les premières tiges de plusieurs opinions qui appartiennent essentiellement aux grandes monarchies ; et telle loi dont l’exécution absolue fait le bonheur d’une république parce qu’elle s’y trouve environnée de tous les usages, de tous les principes, de tous les sentiments qui composent sa force, n’aurait pas le môme succès, et surtout ne conserverait pas longtemps son empire si on la transplantait dans un pays où elle se trouverait comme isolée au milieu des opinions et des habitudes qui toutes n’auraient aucune connexion avec elle. Ces réflexions et beaucoup d’autres, Messieurs, n’échapperont pas à vos lumières, et une sage circonspection vous servira de guide , sans vous faire perdre de vue le but ou vous devez atteindre.

Les cahiers qui ont été composés dans les diverses parties du royaume, et dont vous êtes dépositaires, comprennent sans doute un grand nombre d’idées utiles et plusieurs projets d’améliorations susceptibles d’être réalisés. Ce serait donc inutilement qu’en vous retracerait les dispositions particulières qui seraient dignes de votre attention et de votre intérêt : vous choisirez, Messieurs, dans cette collection de souhaits et de plaintes que la condition humaine rend malheureusement inépuisable ; vous y choisirez les demandes les plus instantes et les plus pressées, et vous rendrez heureux votre souverain quand vous Jui présenterez des vœux que la justice lui permettra de satisfaire.

Ah ! quelle immense tâche en tous les genres va se déployer devant vous ! vous ne pourrez la remplir, vous pourrez à peine la découvrir à cette première époque de votre réunion ; cardans un vaste empire comme dans les grands travaux de la nature, le temps seul achève notre œuvre. Chaque jour, chaque année, amène de nouvelles idées et fait découvrir des Vérités longtemps inconnues ; mais si vous posez les grandes bases, si vous élevez les colonnes de l’édifice, vous vous associerez d’avance à toute la gloire du monument et aux divers avantages qui en résulteront.

On peut se former une idée confusede ces avantages, on peut en indiquer les premiers degrés ; mais l’opinion, les présages même d’un seul homme, fùt-il aussi éclairé qu’on pourrait le désirer, ne sauraient annoncer les effets de celte masse de lumières que le temps et l’agitation générale des esprits peuvent apporter au milieu des Assemblées nationales dont celle-ci n’est que la première en rang. Que rien, pour notre bonheur, que rien ne vienne arrêter ce cours successif de connaissances, de pensées et de ré-