Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII.djvu/98

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opinions trop nouvelles ; vous ne croirez pas que l’avenir puisse être sans connexion avec le passé, vous ne préférerez pas les projets et les discours qui vous transporteraient dans un monde idéal, à ces pensées et à ces conseils qui, moins éclatants, mais plus praticables, exposent à moins de combats et donnent au bien qu’on opère un caractère de stabilité et de durée.

Enfin, Messieurs, vous ne serez pas envieux des succès du temps, et vous lui laisserez quelque chose à faire ; car si vous entrepreniez à la fois la réforme de tout ce qui vous paraîtrait imparfait, votre ouvrage le deviendrait lui-même. Il est aisé d’apercevoir que, dans une vaste administration, la juste proportion de ces diverses parties échappe aux meilleurs observateurs, lorsque toutes sont mises en mouvement d’un seul jet, et que de simples abstractions en garantissent l’harmonie. Que serait-ce, Messieurs, si dès vos premiers pas une désunion éclatante venait à se manifester ?

que deviendrait le bien public au milieu 

de ces divisions où les intérêts d’ordre, d’état et de personnes occuperaient toutes vos pensées ? Ils sont si agissants ces intérêts, et leur domination va tellement en croissant que la sagesse de Sa Majesté, que son attachement au bien de l’Etat, ont dû fixer son attention sur des passions d’une si grande influence. (Test par ce motif si digne d’hommage, c’est par ce motif qui atteste si distinctement le vœu de Sa Majesté pour le succès de vos travaux, que le Roi est inquiet de vos premières délibérations. La manière dont les Etats généraux en dirigeront la forme est une des grandes questions qui se sont élevées dans le royaume, et les avis sur la délibération en commun ou par tête semblent s’être partagés avec une ardeur qui deviendrait alarmante, si l’amour du bien public ne formait entre vous, Messieurs, un point de réunion plus fort et plus puissant que les opinions et les sentiments propres à vous diviser. Le Roi, Messieurs, connaît toute l’étendue de la liberté qui doit vous être laissée ; mais sans accord, votre force s’évanouirait et les espérances de la nation seraient perdues. Sa Majesté a donc fixé son attention sur des préliminaires dont les conséquences peuvent être si grandes ; et ce n’est pas encore cependant comme votre souverain, c’est comme le premier tuteur des intérêts de la nation, c’est comme le plus fidèle protecteur delà félicité publique, que le Roi m’a ordonné de vous présenter un petit nombre de réflexions. J’aurais aimé peut-être à en être dispensé, car on ne s’approche jamais sans danger de ces questions délicates dont l’esprit de parti s’est déjà rendu maîtremais il faut rejeter avec dédain toutes les considérations personnelles qui font toujours embarras dans la route du bien public.

Ce sera vous , Messieurs, qui chercherez d’abord à connaître l’importance ou le danger dont il peut être pour l’Etat que vos délibérations soient prises en commun ou par ordre, et les lumières qui sortiront de votre Assemblée influeront sans doute sur l’opinion de Sa Majesté : mais le choix du moment où cette question doit être traitée, si ce choix est fait sagement, suffira pour prévenir les risques ou les inconvénients d’une semblable discussion, et c’est principalement sur ce point que je vais m’arrêter.

Tout annonce, Messieurs, que si une partie de cette Assemblée demandait que la première de vos déterminations fût un vœu pour délibérer par tête sur tous les objets qui seront soumis à votre examen, il résulterait de cette tentative, si elle était obstinée, une scission telle que la marche des Etats généraux serait arrêtée ou longtemps suspendue, et l’on ne peut prévoir quelle serait la suite d’une semblable division.

Tout prendrait au contraire une forme différente, tout se terminerait peut-être par une conciliation agréable aux partis opposés, si les trois ordres commençant par se séparer, les deux premiers examinaient d’abord l’importante question de leurs privilèges pécuniaires, et si, confirmant des vœux déjà manifestés dans plusieurs provinces, ils se déterminaient d’un commun accord au noble abandon de ces avantages. Personne d’entre vous, Messieurs, ne pourrait avec justice essayer de ravir aux deux premiers ordres le mérite d’un généreux sacrifice ; et ce serait cependant les en priver, ce serait du moins en obscurcir l’éclat, que de soumettre cette décision à la délibération des trois ordres réunis : une possession qui remonte aux temps les plus reculés de la monarchie est un titre qui devient encore plus digne de respect au moment où ceux qui en jouissent sont disposés à y renoncer. Il est donc juste, il est raisonnable que les députés des communes laissent aux représentants des deux premiers ordres tout l’honneur d’un tel sacrifice.. C’est en vain que pour en diminuer le prix, c’est en vain que pour le ternir on voudrait y donner le nom d’obligation simple et naturelle ; certes de pareils actes de justice ne sont pas communs, et l’histoire n’en présente pas d’exemples. Supposons maintenant que cette délibération soit prise par la noblesse et par le clergé, qu’elle le soit promptement et de la seule manière dont on peut l’attendre, par un noble sentiment, par un mouvement digne de l’élévation d’âme qui caractérise les principaux membres des deux ordres de l’Etat ; dès ce momeut ils recevront de la part des représentantsdes communes cet hommage de reconnaissance et de sensibilité auquel aucun Français ne fut jamais réfractaire. Ils seront invités à s’unir souvent aux représentants du peuple, pour faire en commun le bien de l’Etat ; et sûrement ce ne sera pas d’une manière générale ni absolue qu’ils résisteront à cette avance. Cependant une première union entre les ordres une ibis formée, et les ombrages des uns dissipés, les plaintes et les jalousies des autres apaisées, c’est alors qu’avec calme et par des commissaires nommés dans les trois ordres, on examinera les avantages et les inconvénients de toutes les formes des délibérations ; c’est alors qu’on désignera peut-être les questions qu’il importe au souverain et à l’Etat de soumettre à unediscussion séparée, et les objets qu’il est convenable de rapporter à une délibération commune ; c’est alors enfin qu’on jugera plus sainement une question qui présente tant d’aspects différents.

Vous verrez facilement que pour maintenir un ordre établi, pour ralentir le goût des innovations, les délibérations confiées à deux ou trois ordres ont un grand avantage, et que dans les temps et pour les affaires où la célérité des résolutions et l’unité d’action et d’intérêt deviennent nécessaires, la consultation en commun mérite la préférence. Vous examinerez ces principes et bien •d’autres avec une impartialité inconnue jusqu’à présent, du moment que l’abolition des privilèges pécuniaires aura rendu vos intérêts égaux et parallèles. Enfin, Messieurs, vous découvrirez sans Seine toute la pureté des motifs qui engagent Sa ajesté à vous avertir de procéder avec sagesse à ces différents examens. En effet, s’il était possible qu’elle fût uniquement occupée d’assurer son influence sur vos déterminations, elle saurait