Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 2.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

livrer au brigandage, si une fois ils en ont pris ou repris l’habilude ?

Ainsi, la plus belle entreprise que des hommes puissent faire pour le rétablissenient des droits de l’homme, pour la liberté et l’égaliié, pour la paix et la prospérité de Saint-Domingue, n’aboutira qu’à déshonorer les entrepreneurs, perdre la colonie sans retour et river pour toujours les chaînes des africains dans les Antilles ; car c’est de notre succcs que doit dépendre leur sort chez les autres puissances.

Vous paraissez vous-même effrayé d’un début aussi désastreux. Je vous crois sincère ; je sais que vous l’êtes ; mais vos larmes ne vous excuseront pas du mal qui se fait sous vos yeux, que vous pouvez empêcher et que vous n’empêchez pas. La scélératesse des ennemis de la liberté ne légitime pas des représailles que vous qualifiez vous-même d’atrocités, lorsque la nécessité de la défense ne les rend pas indispensables.

J’ai dit que je vous croyais sincère : peut-être n’y aura-t-il pas vingt personnes dans la colonie qui pensent comme moi. Les révoltés diront ce qu’ils disent déjà : Sonthonax ne respire que le feu, le feu le suit partout : il a donné ordre à Finiels de tout brûler en cas de retraite forcée ; il a donné le même ordre à Laveaux ; la ville du Cap a été brûlée sous ses yeux et par ses ordres. La plaine de Léogane l’est sous ses feux et par ses ordres. De là à l’ordre d’incendier le Cap, il n’y a pas loin ; et vous verrez bientôt que ce sera nous, et non pas Galbaud, qui aurons réduit cette ville en cendres.

Mais le moyen, me direz-vous, de contenir la juste indignation des Africains ? Vous les empêcherez de brûler, comme je les ai ramenés au travail, par leur propre intérêt : s’ils ne travaillent pas, ce sont eux-mêmes qui se privent de vivres et de revenus ; s’ils brûlent, ce sont eux-mêmes qui se ruinent. Croyez-moi, ils ne sont pas si généralement bêtes qu’ils vous l’ont paru. Il n’y a pas une idée abstraite qu’on ne puisse mettre à leur portée. Ils savaient fort bien, avant même que, nous eussions commencé leur éducation, qu’ils ne devaient pas dévaster la terre qui leur donne les vivres et les revenus ; ils entendent bien, d’après mes explications, ce que c’est qu’une République, et pourquoi il ne faut pas de Roi[1]… Comptez, quoique je n’approuve pas à beaucoup près toutes les mesures que vous avez prises, quoiqu’elles aient singulièrement contrarié les miennes, et qu’elles aient détruit mon ouvrage dans l’Ouest, que je n’en suis pas moins prêt à tout sacrifier, à me sacrifier moi-même pour mettre à la raison, une fois pour toutes,

  1. Polvérel pariait ainsi des noirs du Sud et de l’Ouest : ceux du Nord pensaient différemment.