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tituer les armes à tous ceux qui seraient reconnus dignes de s’en servir pour défendre la cause de la liberté et de l’égalité.

Un très-petit nombre de citoyens s’est présenté pour les réclamer, et les armes ont été distribuées, soit à la légion de l’Égalité, soit aux volontaires nationaux ; de manière que la partie la plus essentielle du peuple de Saint-Domingue, celle qui a plus d’intérêt au succès de la révolution, se trouve aujourd’hui former la force publique de Saint-Domingue, sous les ordres des commissaires civils.

Cet ordre a déplu d’abord, soit aux Européens transportés dans la colonie, soit aux créoles eux-mêmes, sans distinction de couleur. Mais l’arrivée des Anglais a changé entièrement la disposition des esprits : les habitans du Port-Républicain n’ont vu dans les armées du tyran de la Grande-Bretagne que nos ennemis naturels ; tous se sont réunis pour les repousser. La rade a donné l’exemple, et les braves marins de l’État et du commerce attendent dans nos forts l’instant de se signaler ; tous sont disposés à brûler les riches cargaisons dont la conduite en Europe leur est confiée, et à donner ainsi un grand exemple de patriotisme, plutôt que de livrer aux ennemis de la république des moyens puissans de lui faire la guerre.

Le moment est arrivé où tous les habitans de Saint-Domingue, sans distinction d’état ou de couleur, sont appelés à défendre, pour leur propre intérêt, la cause de l’humanité et de la liberté. Le voile épais du préjugé, qui fascinait les yeux des Africains dans la servitude, est enfin tombé ; l’esclave s’est mesuré avec ses maîtres, il a vu qu’ils étaient des hommes plus faibles que lui ; il ne retombera jamais dans son ancien avilissement. Malheur aux insensés qui s’opposeront au triomphe des principes philanthropiques et de liberté universelle qui germent et se propagent parmi les nations ! Les gouvernemens en délire auront beau vouloir conserver les abus atroces qui font des Antilles un repaire de tous les crimes de l’Europe, leur éclatante punition sera l’effroi des contemporains, et servira d’exemple à la postérité.

Déjà les calomnies que l’horrible soif de l’or enfantait contre nous touchent à leur fin ; déjà la métropole, instruite de nos succès, a proclamé la liberté générale des nègres dans toutes les possessions coloniales.

Déjà, peut-être, un Africain de la députation du Nord de Saint-Domingue, sans autre recommandation que son bon sens et ses vertus, a l’honneur de présider en ce moment la convention nationale de France.