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lettre du 18 vendémiaire (9 octobre), Pinchinat sortit de la ville des Cayes, accompagné d’Augustin Rigaud, frère du général de ce nom. Ensemble ils parcoururent les ateliers ; ils cherchèrent à exciter les esprits contre la délégation ; ils insinuèrent aux noirs que les blancs nouvellement arrivés d’Europe n’étaient revenus que pour les remettre aux fers, et qu’il était temps de les exterminer afin de n’avoir plus rien à craindre d’eux ; que les blancs n’avaient jamais voulu sincèrement la liberté des noirs ni des hommes de couleur ; que les hommes de couleur et les noirs étaient les véritables habitans, les vrais propriétaires des colonies ; que tout leur appartenait, et que les blancs devaient être exterminés ou chassés. « Ces insinuations perfides, ajoute le rapporteur, corrompirent ainsi l’opinion des noirs ; et il ne fallait plus qu’une occasion pour réaliser les projets exécrables des agitateurs. »

Quel tissu de calomnies contre le malheureux Pinchinat, qui n’avait rien de plus pressé que de se soustraire à l’arrestation ordonnée par l’agence ! Comme il a payé cher, de même que Montbrun, la propre imprudence de Sonthonax qui fut cause de l’affaire du 17-18 mars 1794 ! Le rancuneux Sonthonax (soyons juste !) ne pouvait oublier, en effet, qu’il fut acculé au fort Sainte-Claire avec son fidèle Desfourneaux. Julien Raymond, ce métis qui ne voulait pas être mulâtre, ne pouvait non plus pardonner à Pinchinat d’avoir exercé, par son génie révolutionnaire, plus d’influence que lui sur la conduite des hommes de couleur : de là toutes ces accusations mensongères, absurdes, criminelles.

Sonthonax, on le voit, n’était pas revenu de l’idée qu’il avait eue dans sa première mission, sur la bêtise des noirs. Eh ! fallait-il donc à ces hommes des lumières transcen-