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Louverture au grade de général de division n’avait pas excité en Rigaud cette jalousie et cette peine extrêmes dont parle Pamphile de Lacroix et dont d’autres auteurs égarés ont reproduit l’assertion ; car si ces sentimens existaient à un si haut degré dans le cœur de Rigaud, il n’eût pas pris cette initiative d’une correspondance intime. On l’a beaucoup accusé d’orgueil, de vanité, d’amour-propre, de méfiance, comme tous les mulâtres : en admettant que ces défauts furent le partage de son caractère, ils devaient lui inspirer assez de fierté pour ne pas faire les premiers pas auprès de T. Louverture ; car Rigaud savait bien ce qu’il valait, pour ne pas se dégrader à ses propres yeux et à ceux de son émule, par une telle démarche[1].

D’un autre côté, il nous est également démontré que T. Louverture, en accueillant Pelletier, en ne le faisant pas arrêter malgré les ordres de Sonthonax, en correspondant avec Rigaud, n’avait pas contre ce dernier ce que des étrangers se sont plu à appeler haine instinctive du noir contre le mulâtre, et vice versa. La haine qu’il lui montra plus tard fut toute personnelle, et à raison de la désobéissance autorisée de Rigaud. Nous prouverons que ce dernier lui obéit constamment, agit par ses ordres jusqu’au moment où sa conduite légitima cette désobéissance.

Après que Pelletier eut rempli cette mission, Rigaud le chargea de ses dépêches pour le Directoire exécutif et le corps législatif. Il partit de l’Anse-à-Veau dans le mois de

  1. Dans notre introduction nous avons dit que Rigaud fut « justement mécontent de la partialité de Sonthonax qui avait élevé T. Louverture au grade de général de division et au rang de général en chef. » Mais depuis, nous nous sommes procuré des documens qui prouvent le contraire.