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grands coupables, les meneurs des factions, sans recourir aux hasards d’une guerre civile. Or, comme cette paix n’avait pas eu lieu, et que le gouvernement français n’avait pu accomplir son vœu, son agent alluma cette guerre civile par ses actes[1].

Si le général Hédouville, dont nous honorons d’ailleurs le caractère personnel comme homme privé et public, n’avait pas eu cette mission éventuelle par ses instructions secrètes ; si Rigaud avait réellement effacé à ses yeux les torts que lui trouvait le Directoire exécutif, d’après le rapport de l’agence de 1796, ne se fût-il pas rendu dans le Sud auprès de ce général, lorsque T. Louverture le força à s’embarquer ? Etait-il, à l’égard de Rigaud, dans la même position que Sonthonax ? Eh quoi ! Hédouville, agent de la métropole, militaire de valeur, général renommé, sachant l’attachement de la population colorée de Saint-Domingue pour la France, ne sentait pas qu’en se rendant dans le Sud, il réunirait à son autorité, non-seu-

  1. « Je sais qu’on a proposé de réduire l’île, en armant les chefs les uns contre les autres, et de mettre à profit leur ambition effrénée, pour les détruire de leurs propres mains. Un tel moyen est facile, sans doute ; mais je ne puis croire que cette politique barbare soit compatible avec la majesté de la première nation du monde… » (Rapport de Kerverseau, en septembre 1801).

    C’est avec bonheur que nous citons cette protestation sortie du cœur d’un Français loyal, qui, ayant été sur les lieux et connaissant les horreurs qu’avait produites la guerre civile du Sud, revendiquait les droits de l’humanité auprès de son gouvernement, en voyant qu’il était encore question de renouveler l’affreuse politique du Directoire exécutif. Il n’est pas moins vrai que ce fut le résultat de la mission d’Hédouville.

    Suivant Thibaudeau (Hist. du Consulat, etc.), cette mission avait pour objet — « d’observer les partis, de les concilier, de contenir l’ambition des chefs et de gagner du temps.  » C’est-à-dire, attendre la paix en Europe pour les écraser.

    Suivant Montholon — « le Directoire parut sourire à la guerre civile entre Toussaint et Rigaud, et mettre dans sa durée la garantie des droits de la métropole. » Il fit plus que sourire : il rit de bon cœur, et la France eut ensuite des regrets.