Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 4.djvu/496

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vent pas plus être vos amis que les nègres et les mulâtres qui sont vos frères, et dont les intérêts sont liés aux vôtres. Pensez-vous que l’adjudant-général Salomon, par exemple, qui appesantit sa rage maintenant sur les malheureux officiers qu’il fait arrêter et mettre aux fers, soit plus votre ami que ces innocens ? Est-ce en désapprouvant les actes du général Rigaud, dont il dit aujourd’hui tant de mal, que de tambour-major il serait devenu colonel ? Et croyez-vous qu’il vous montrera plus de reconnaissance qu’au général Rigaud ? »

Les blancs furent excessivement irrités de ces paroles d’une franchise imprudente. Chéri Congo, jeune noir, gendre de Laplume et son aide de camp, tira son poignard et s’avança sur Borgella en lui disant : « Vous oubliez que vous parlez au général Laplume ! — Chéri, répartit Borgella d’un ton aussi dédaigneux qu’imposant, vous êtes trop jeune pour vous mêler de semblables choses. » Laplume, de son côté, s’était avancé pour lui imposer silence.

Ce général, nous l’avons dit, s’était toujours montré l’ami des hommes de couleur, dans son commandement de Léogane : il en avait reçu lui-même des témoignages non équivoques d’attachement. Rigaud et Bauvais lui avaient prouvé ce sentiment depuis qu’il les avait aidés à arrêter Pierre Dieudonné et Pompée. Lorsqu’il fut fait prisonnier à la prise du fort du Petit-Goave, en juin 1799, c’est un homme de couleur qui avait facilité son évasion. Il n’eut donc pas de peine à comprendre la vérité sortie du cœur de Borgella ; car il connaissait ses sentimens pour ses frères noirs. Laplume, Africain, était une de ces bonnes natures, comme on en à remarqué tant d’autres parmi les noirs, victimes de la cupidité des Européens. Mais, que pouvait-il faire contre le système inhumain de T. Lou-