Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 6.djvu/462

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pour intimider les députés, Pétion eût mérité la risée de la postérité, s’il se fût arrêté à un tel scrupule de conscience en présence des procédés du chef provisoire du gouvernement ; car il s’agissait moins de l’enjeu de sa personne en cette circonstance, que de la garantie individuelle de chaque citoyen, des droits du peuple entier, aux prises avec les prétentions d’un despote ingrat. Il ne pouvait user d’aucun autre moyen que de celui-là pour déjouer le plan de Christophe, et il fit fort bien de l’employer.

Mais, dira-t-on encore, une telle conduite de sa part devait inévitablement amener la guerre civile.

Eh bien ! oui, la guerre civile, préférable, pour les populations de l’Ouest, et du Sud, au joug ignominieux d’un barbare qu’elles avaient honoré de leurs suffrages. Et quel était donc le droit de H. Christophe, d’imposer sa volonté personnelle à tous ces hommes qui l’avaient proclamé chef du gouvernement ? Si Rigaud avait pu, avait dû résister à celle de Toussaint Louverture, — à plus forte raison Pétion devait-il résister à celle de Christophe, comme il avait dû concourir à abattre Dessalines.

La guerre civile ? Mais, pour l’expérience du peuple haïtien, elle allait mettre en parallèle — l’arbitraire et la loi, — la violence et la modération, — la cruauté et l’humanité, jusqu’à ce qu’il plût à Dieu d’assurer le triomphe de l’Occident sur le Nord, de la civilisation sur la barbarie. Les nations peuvent-elles toujours éviter de pareilles calamités ? Le plus souvent, c’est dans le sang qu’elles se régénèrent. Honte à ceux dont l’ambition ou l’injustice sont cause qu’il en soit versé ! Honneur à ceux dont l’énergie accepte un défi semblable ! L’indépendance d’Haïti ne fut-elle pas le résultat définitif de l’injustice