Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 7.djvu/192

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fans qui leur avaient été confiés pour les servir, ce fut sans doute fâcheux pour leurs pareils restés dans le pays ; mais comment concevoir que les autorités eussent souffert que la traite des enfans se fît à Jérémie, que des citoyens d’Haïti s’y prêtassent, afin « de convertir nos jeunes compatriotes en troupeaux d’esclaves chez l’étranger ? »

Le fait est, encore, à ce sujet, que le commerce de Cuba introduisait en Haïti, par contrebande, du sucre raffiné, d’excellent tafia, qui se vendaient mieux que les produits similaires du pays ;[1] il couvrait cette contrebande par des marchandises dont l’importation était permise. La concurrence qu’il faisait par le sucre et le tafia surtout, nuisait au débit des produits des fermiers de l’État, des propriétaires ; et l’on sait déjà qui possédaient à ferme les biens domaniaux : de là ces plaintes. Mais, en maintenant ce commerce au Môle, n’était-ce pas dans le but de procurer à nos troupes des choses nécessaires ? Etendu à d’autres ports, parce qu’il y trouvait profit, ce trafic eut le bon effet de faire cesser les dangers que couraient nos caboteurs, par les corsaires armés à Saint-Yague, qui, auparavant, les poursuivaient incessamment.

En définitive, le sénat menaçait « d’abdiquer toute mission, plutôt que de s’associer aux malheurs avenir. » Il conjura Pétion « de jeter avec lui un voile sur le passé. » Probablement, le président ne demandait pas autre chose, pourvu qu’on lui laissât la faculté « de faire cingler le vaisseau de l’État vers le port de la félicité

  1. Les grands consommateurs de cet excellent tafia, à cette époque, disaient d’abord : « Prenons un coup du Cuba.  » Quand le sénat eut défendu ce commerce, la contrebande continuant, pour ne pas la déceler, ils disaient : « Prenons un coup de Chenue.  » À l’encontre des producteurs du pays, ces consommateurs étaient fort satisfaits, au Môle et ailleurs.