Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 7.djvu/543

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leur langage créole, empruntant leur éloquence aux nombreux proverbes, qui étaient mieux compris des soldats royalistes, que tous les discours qu’on pourrait leur adresser en français.

Comme beaucoup de ces derniers portaient des chapeaux de paille et avaient des sandales grossières aux pieds, appelées sapates dans le pays[1], les républicains leur disaient en créole : « Qui Roi zautes gagné pour chef ? Ce Roi chapeaux paille, Roi sapates. Zautes ce esclaves li ; li faire zautes travail comme cheval ; li mené zautes ici pour faire la guerre, pour li capable régné, et femmes zautes, pitites zautes va crié dio dans gé. Nous, nous gagné Président qui ce papa nous, zami nous : alla bon chef ! li défende officiers batte nous, pace que nous ce républicains. Camarades, frères, houn ! coûté bien ça nous di zautes ! Roi pas bon dans pays-ci ! ce la République qui bon pou gouverné nous[2]. »

Et pour prouver leurs sentimens de fraternité, nos soldats envoyaient leurs pains dans les batteries ennemies, en disant aux autres que c’était la nourriture qu’ils recevaient de la République, tandis que leur roi ne leur donnait qu’un épi de maïs pour chacun d’eux. Pétion ayant appris cette heureuse idée de nos soldats, fit envoyer chaque jour un certain nombre de pains dans le même but ; mais il arriva que les officiers ennemis s’en

  1. Du mot espagnol sapatas.
  2. « Quel est le Roi que vous avez pour chef ? C’est le Roi aux chapeaux de paille, le Roi aux sapates. Vous autres, vous êtes ses esclaves ; il vous fait travailler comme des chevaux ; il vous a conduits ici pour faire la guerre, afin de pouvoir régner, et vos femmes, vos enfans pleureront, auront les larmes aux yeux. Nous, nous avons un Président qui est notre père, notre ami : voilà un bon chef ! Il défend à nos officiers de nous battre, parce que nous sommes des républicains. Camarades, nos frères, écoutez bien ce que nous vous disons : Les Rois ne conviennent pas à notre pays ; c’est la République qui doit nous gouverner. »