Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 9.djvu/179

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Tel fut le rapport officiel que le Président reçut de cet événement. Mais, sachant combien l’on est prompt à supposer des crimes politiques aux chefs d’État, et surtout dans la situation où se trouvaient les esprits à la capitale depuis la réunion de la Chambre des représentans, il crut qu’il ne pouvait trop s’assurer des faits qui avaient occasionné la mort de Romain. À cet effet, il manda le général Gédéon et le colonel Loret, et les questionna publiquement au palais où se trouvaient bien des officiers : leurs déclarations confirmèrent le rapport qu’il avait reçu. C’est pourquoi la proclamation du Président dit à ce sujet : « Responsable de sa personne et chargé de le surveiller (Romain) strictement, le général Gédéon lui ordonna la maison d’arrêt : il refusa formellement d’obéir et se mit dans le cas qu’on déployât contre lui la force armée, à laquelle il osa résister de nouveau : c’est cette résistance qui, à mon très-grand regret et contre mes intentions, a causé la mort du général Romain, lequel sans doute a préféré d’ensevelir ainsi son crime, plutôt que de paraître devant des juges dont la sévère équité aurait bientôt dévoilé ses abominables machinations. Telle a été la fin d’un homme qui, parce qu’il avait combattu comme tant d’autres pour son pays, s’était persuadé qu’il pouvait l’asservir à sa loi et à ses caprices[1]. »

  1. Le président Boyer, causant un jour avec moi, en 1840, me dit : » Voyez comment les chefs de gouvernement sont à plaindre ! Qui n’a pas cru, en 1822, que ce fut par mes ordres que le général Romain a été tué à Léogane, au lieu d’être jugé et fusillé d’après la loi ! Eh bien ! quand ce fâcheux événement arriva, je mandai ici Gédéon et Loret, et ce dernier m’affirma publiquement, devant ce général, que Romain avait saisi le fusil d’un soldat pour s’en servir et résister à la garde. Je dus accepter cette explication de sa mort violente, mais je ne restai pas entièrement convaincu. En 1827, après le décès de Gédéon, je fis venir Loret ici et lui demandai de m’avouer si réellement Romain avait résisté à la garde qui le conduisait. Loret me dit que non, qu’il avait reçu l’ordre de Gédéon de faire tuer Romain et de déclarer les faits comme il fit alors, parce qu’il était