Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ces politesses ordinaires qui ne signifient rien, sur-tout pour un cœur que l’amour rend clairvoyant.

Je résolus de m’expliquer tout à fait ; je ne voyais point lorsque je parlais à Sylvie que ses yeux s’armassent de rigueur ; c’est ce qui m’enhardissait. L’occasion seule me manquait ; je crus qu’en allant à la comédie avant qu’elle commençât, je pourrais l’entretenir dans sa loge ; j’y fus en effet, mais inutilement. Le marquis d’Entrecasteaux et le comte de Limaille m’avaient devancé ; je les trouvai à sa toilette ; il fallut faire bonne mine à mauvais jeu ; j’avais peine pourtant à me contraindre, et, comme je sortais de sa loge, elle me dit d’un air fort obligeant : Quoi, vous sortez déjà, monsieur ! Ces paroles, dont le ton m’avait ému, m’avaient jeté dans une espèce de trouble, qui aurait pu découvrir ce que je cachais avec tant de soin, si le comte de Limaille, qui avait fait un mouvement pour sortir, ne les eût prises pour lui. Comme il était aussi amoureux que moi, il fut si enchanté de ce reproche que la saluant de la façon du monde la plus comique, il ne put jamais dire que, bien de l’honneur, mademoiselle, bien de l’honneur. Cet enthousiasme parut si burlesque que chacun éclata