Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/15

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son goût favori et sa plus grande dépense ; le premier rang de sa compagnie était composé d’hommes de sept pieds ; il les faisait acheter au bout de l’Europe et de l’Asie ; j’en vis encore quelques-uns après sa mort.

» Quand Frédéric-Guillaume avait fait sa revue, il allait se promener par la ville ; tout le monde s’enfuyait au plus vite. S’il rencontrait une femme, il lui demandait pourquoi elle perdait son temps dans la rue. « Va-t-en, chez toi, gueuse ! une honnête femme doit être dans son ménage. Il accompagnait cette remontrance d’un bon soufflet, ou d’un coup de pied ou de coups de canne ; c’est ainsi qu’il traitait aussi les ministres du Saint-Évangile, quand il leur prenait fantaisie d’aller voir la parade.

» On peut juger, continue Voltaire, si ce barbare était étonné et fâché d’avoir un fils plein d’esprit et de grâce, de politesse et d’envie de plaire, qui cherchait à s’instruire et qui faisait de la musique et des vers. Voyait-il un livre dans les mains du prince héréditaire, il le jetait au feu ; le prince jouait-il de la flûte, le père cassait la flûte, et quelquefois traitait son altesse royale comme il traitait les dames et les prédicans à la parade.