vous en prie, habillez-moi vite, afin que j’arrive, s’il est encore temps, avant qu’on se mette à table. » La Pierre fit tant de diligence, que le vœu de son maître fut rempli.
Dans le premier voyage que Voltaire fit à Berlin, en 1743 (c’est encore M. Thiébault qui nous fournit cette anecdote), la franchise du marquis d’Argens ne lui permit pas de dissimuler même devant l’auteur de la Henriade, que Jean-Baptiste Rousseau lui paraissait un homme du plus rare talent, qu’il en plaignait les infortunes, et qu’il le voyait innocent des choses dont on l’accusait, et qui lui avaient attiré tant de chagrins. Voltaire n’ayant pu le convertir sur ce point, en ressentit une colère qu’il dissimula, mais qu’il voulut néanmoins satisfaire. Pour concilier ce désir avec les ménagemens qu’il croyait devoir garder, il fit en secret une épigramme sanglante contre le marquis, cherchant à le couvrir de ridicule, tant pour son caractère moral, que pour ses talens, et le désignant par le titre de Juif errant, faisant allusion aux Lettres Juives. Il vint ensuite lui faire une visite affectueuse, et lui dire : « Mon cher marquis vous avez, en faveur de ce misérable Rousseau, une prévention que j’ai en quelque sorte res-