Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/352

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pour lui des égards. Le reste du royaume ne distingue pas un peintre d’un cordonnier, ni un sculpteur d’un savetier. Un provincial dont le nom se terminera en ac et dont tout le mérite est de chasser, de jurer Dieu, et de battre des paysans, se croirait déshonoré s’il savait toucher une palette, ou un pinceau[1]. En Italie, au contraire, il est peu de gens qui ne sachent dessiner assez pour pouvoir se connaître en tableaux. On ne rougit point dans ce pays de savoir s’occuper agréablement ; l’ignorance profonde paraît aussi ridicule aux seigneurs romains, que la fureur des seize quartiers, dans un homme qui meurt de faim, paraît absurde aux Anglais, et aux Hollandais. Ne croyez pas que je veuille vous dire que les arts soient universellement méprisés en France ; je sais qu’ils y fleurissent encore : mais vous m’avouerez aussi qu’ils sont bien déchus de ce qu’ils étaient sous Louis xiv et sous le duc d’Orléans. Il faut espérer que la fin de nos guerres les ranimera plus que jamais.

  1. Il y a de l’exagération dans ce reproche les anciens seigneurs français, les gens aisés, avaient le goût des beaux arts ; un petit nombre seulement conservaient les mœurs grossières dont parle l’auteur.