Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/354

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jusqu’à l’excès pour les comédiens, quoique le public leur fut autant redevable de ses plaisirs qu’aux auteurs mêmes. La Chammêlé, Baron[1], Beaubourg ont été, dans leur art, d’aussi grands personnages que Corneille et

    à leur rouerie, à leur libertinage et au dévergondage fastueux de quelques-unes d’elles qu’on doit l’attribuer. Comment estimer cordialement des personnes qui semblent professer l’indifférence la plus entière pour les vertus domestiques et pour le respect dû aux sentiment honnêtes ?

  1. Michel Baron, le célèbre acteur était fils d’un marchand d’Issoudun, qui préféra la profession du théâtre à celle de son père. Il entra dans la troupe de la Raisin, et ensuite dans celle de Molière. Ses grands talens comme acteur sont connus ; ses intrigues avec la Guérin, femme de Molière, qu’elle fit mourir de chagrin le sont moins.

    Molière, fatigué des tourmens de jalousie que la Guérin lui donnait, résolut de donner des soins à Baron, qui était jeune et beau. Il le tenait chez lui comme son enfant, et cultivait en lui les dispositions qu’il y remarquait à devenir bon comédien. Il le gardait à vue dans l’espérance d’en être le seul maître ; mais cela ne lui servit à rien, il était écrit dans le ciel qu’il serait tourmenté de toutes les manières. Le duc de Bellegarde fut un de ses plus redoutables rivaux : l’amour que ce seigneur avait pour Baron, allait jusqu’à la profusion. Il lui fit présent d’une épée, dont la garde était d’or massif, et rien ne lui parassait cher de ce qu’il