Page:Argens - Mémoires du marquis d’Argens.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de ceux qui approchaient de ce dernier terme de la vie, se noircissait dans les vingt-quatre heures, il a été long-temps dans l’habitude d’en conserver de la sienne dans des vases qu’il allait examiner plusieurs fois le jour, jusqu’à ce que quelques personnes, instruites de cette pusillanimité, eussent secrètement découvert ce dépôt et y eussent mêlé un peu d’encre ; ce qui l’effraya tellement, qu’il fallut lui avouer la supercherie qu’on lui avait faite, pour lui sauver une maladie grave. Il lui était impossible de tenir à une table où il y avait treize convives ; je l’ai vu à un repas, où j’étais à côté de lui, prendre mon couteau et ma fourchette qui, par hasard, étaient croisés, et les décroiser ; et comme je lui témoignais ma surprise de lui voir prendre ce soin, il me dit : « Je sais bien que cela n’y fait rien ; mais ils seront aussi bien comme je les place. »

« Sa nièce, madame de la Canorgue, m’a raconté que dans le temps qu’il, travaillait à son long ouvrage sur l’esprit humain, il lui arriva un soir de se trouver si bien disposé et si heureusement inspiré, qu’il ne fut pas possible de lui faire quitter son bureau avant minuit, et qu’il vint souper très-content de lui-même et fort gai, quoique son gigot se