Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/321

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et commettre l’injustice. D’abord, peut-on admettre cet étrange raisonnement d’Euripide, lorsqu’il dit : « J’ai tué ma mère, et voici, en peu de mots, ma défense : Ou je l’ai tuée volontairement et d’après sa propre volonté, ou malgré moi, mais toujours parce qu’elle l’a voulu »[1]. Car est-il véritablement possible que quelqu’un veuille qu’on lui fasse un tort ou une injustice ? Ou plutôt, n’est-ce pas toujours involontairement qu’on souffre l’injustice, comme c’est volontairement qu’on la fait ? Enfin, peut-on considérer toute injustice (tant celle qui est soufferte, que celle qui est commise) sous l’un ou sous l’autre point de vue ? ou bien, dira-t-on que l’une est toujours volontaire, et l’autre toujours involontaire ?

Il en sera de même de la notion attachée à l’expression se faire rendre justice[2]. Car pratiquer la justice est toujours volontaire, en sorte qu’il est fort raisonnable d’opposer entre elles chacune de ces deux notions, souffrir l’injustice et se faire rendre justice, et de les envisager sous le double rapport du volontaire et de l’involontaire ;

  1. Traduction de deux vers grecs tirés, suivant les commentateurs grecs, du Bellérophon d’Euripide, tragédie que nous n’avons plus.
  2. Le mot δικαιοῦσθαι, que je traduis par se faire rendre justice, signifie aussi obtenir justice, ou même être traité comme on le mérite, toutes nuances qui sont comprises dans l’idée générale qu’il exprime, et qu’il ne faut pas perdre de vue, pour bien comprendre les pensées de l’auteur dans ce chapitre.