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Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/413

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des hommes se laissent entraîner par les voluptés. Or, cet entêtement se rencontre chez les gens prévenus de quelque opinion qu’ils ont adoptée[1], et chez ceux qui sont ignorants et grossiers ; et les sentiments de plaisir ou de peine sont assez ordinairement la cause de l’opiniâtreté. Car on a du plaisir à vaincre et à ne pas se laisser persuader autre chose que ce qu’on croit ; on a de la peine, lorsque les résolutions qu’on a prises sont sans effet, comme des décrets qui n’ont pas été exécutés. Voilà pourquoi ce qui fait que chez les gens dont nous parlons, c’est plutôt intempérance ou faiblesse, que tempérance ou fermeté.

Il s’en trouve aussi qui ne persistent pas dans leurs résolutions par une toute autre cause que l’intempérance, comme Néoptolème dans le Philoctète de Sophocle[2]. C’est bien le plaisir qui l’empêche de faire ce qu’il avait résolu, mais un plaisir généreux : car il trouvait honorable de dire la vérité ; mais Ulysse lui persuada de faire un mensonge. C’est qu’on n’appelle ni méprisable, ni intempérant, ni débauché, tout homme qui agit par un motif de satisfaction ou de plaisir, mais seule-

  1. Littéralement ; « Les opiniâtres (ἰδιογνώμονες) sont entêtés (ἰσχυρογνώμονες). » Il y a à peu près entre les deux mots grecs la même nuance de signification qu’entre les mots français. L’opiniâtre tient à son opinion, parce qu’elle est sienne ; l’entêté tient à celle qu’il a, parce qu’il l’a ; c’est-à-dire que l’un et l’autre manquent de lumières et de raison.
  2. Voyez Sophocl. Philoct. cité plus haut, c. 2, note 3.