Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/122

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qui délibère, c’est l’intérêt et le dommage ; car celui qui soutient une proposition la présente comme plus avantageuse, et celui qui la combat en montre les inconvénients. Mais on emploie aussi, accessoirement, des arguments propres aux autres genres pour discourir dans celui-ci, tel que le juste ou l’injuste, le beau ou le laid moral. Pour les questions judiciaires, c’est la juste ou l’injuste ; et ici encore, on emploie accessoirement des arguments propres aux autres genres. Pour l’éloge ou le blâme, c’est le beau et le laid moral, auxquels on ajoute, par surcroît, des considérations plus particulièrement propres aux autres genres.

VI. Voici ce qui montre que chaque genre a le but final que nous lui avons assigné ; dans quelque genre que ce soit, il arrive assez souvent que les considérations empruntées à d’autres genres ne sont pas contestées. L’orateur qui plaide en justice, par exemple, pourrait convenir que tel fait n’a pas eu lieu ou qu’il n’y a pas eu dommage ; mais il ne conviendrait jamais qu’il y ait eu injustice. Autrement, l’action en justice (δίκη) n’aurait pas de raison d’être. De même, dans une délibération, il se peut qu’on néglige divers autres points, mais on ne conviendra jamais de l’inutilité de la proposition que l’on soutient, ou de l’utilité de celle que l’on combat. La question de savoir s’il n’est pas injuste d’asservir des peuples voisins et contre lesquels on n’a aucun grief reste souvent étrangère au débat. De même encore l’orateur, dans le cas de l’éloge ou du blâme, ne considère pas si celui dont il parle a fait des choses utiles ou nuisibles, mais souvent, en prononçant son éloge, il établit qu’il a fait une belle action au détriment de son propre intérêt. Par exemple, on louera Achille d’avoir été au secours de Patrocle, son ami, sachant qu’il doit mourir lorsqu’il