Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/174

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bonheur obtenu, tantôt l’espoir du bonheur à obtenir qui nous procure le plaisir. Par exemple, ceux qui sont enfiévrés (et) ont soif éprouvent une jouissance au souvenir d’avoir bu et à l’espoir qu’ils boiront.

XI. De même, aussi, les amoureux se font un bonheur de rapporter tous leurs discours, tous leurs écrits, toutes leurs actions à l’être aimé, et le principe de l’amour est pour tous (les amoureux) d’aimer non seulement en jouissant de la présence de l’objet aimé, mais d’y songer quand il est absent. Aussi y a-t-il encore plaisir dans la peine que cause son absence.

XII. Dans le deuil et dans les lamentations, il y a encore un certain plaisir ; car ce chagrin vient de la séparation : or il y a un certain charme à se souvenir de l’ami perdu, à le voir en quelque façon, à se rappeler ses actions, son caractère. C’est pour cela que l’on a dit[1] :

Il parla ainsi et jeta dans tous les cœurs le désir de gémir.

XIII. La vengeance, elle aussi, a quelque chose d’agréable ; car ce qu’il est pénible de ne pas obtenir, c’est avec plaisir qu’on l’obtient : or ceux qui sont irrités s’affligent au delà de tout de ne pas se venger, et l’espoir de la vengeance les réjouit.

XIV. Il est encore agréable de remporter une victoire, et c’est agréable non seulement pour ceux qui ont ce goût, mais pour tout le monde ; car la victoire donne l’idée d’une supériorité, ce qui est, plus ou moins, le désir de tout le monde.

XV. Comme il est agréable de remporter une victoire, il s’ensuit, nécessairement, que l’on trouve du plaisir dans les jeux qui consistent en combats, en con-

  1. Hom., Il., XXIII, 108, et Od., IV, 183. Cp. Od., IV, 113.