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LIVRE II, CHAPITRE II

VIII. De ceux dont on croit devoir attendre un bon office. Sont dans ce cas ceux que l’on a obligés, ou que l’on oblige actuellement, soit en personne, soit par quelqu’un des siens, soit encore par son entremise, ou qu’on a, ou enfin qu’on a eu l’intention d’obliger.

IX. On voit déjà, d’après ce qui précède, quelles sont les personnes qui s’abandonnent à la colère, contre qui elles se courroucent, et pour quelles raisons. Tel (est en colère) lorsqu’il a du chagrin ; car, lorsqu’on a du chagrin, c’est qu’on éprouve un désir. Tel autre, si l’on se met directement à la traverse quand il marche vers un but ; par exemple, si l’on fait de l’opposition à une personne qui a soif, lorsqu’elle va boire. Lors même que l’opposition n’est pas directe, l’effet produit peut être identique. Soit que l’on contrarie l’action projetée, soit qu’on ne la seconde pas, soit que l’on traverse en quelque autre façon celui qui est dans une telle disposition, celui-ci se fâche contre les auteurs de tous ces empêchements.

X. Voilà pourquoi les malades, les malheureux, les amoureux, les gens qui ont soif, et généralement tous ceux qui éprouvent un désir passionné sans pouvoir le satisfaire, sont enclins à la colère et à l’emportement. Ils s’en prennent surtout à ceux qui tiennent peu de compte de leur mal actuel. Ainsi le malade s’irritera contre ceux qui n’auront pas d’égard à sa maladie ; le malheureux, contre ceux qui insulteront à sa pauvreté ; le guerrier, contre les détracteurs de la guerre ; l’amoureux, contre ceux de l’amour, et ainsi du reste ; car chacun est porté à un genre particulier de colère, d’après la nature de sa passion.

XI. De même encore, si la fortune envoie le contraire de ce qu’on attend ; car ce qui s’éloigne grandement de l’attente cause d’autant plus de peine, tout