Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/229

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a pas d’une application facile. Pour parler en thèse générale, sont des sujets de crainte tous les événements qui, frappant ou menaçant les autres, nous inspirent un sentiment de pitié. Ainsi donc, ce qui motive la crainte et ce qui la fait naître, nous en avons cité pour ainsi dire les exemples les plus importants. Quant à la disposition d’esprit où se trouvent ceux qui ont des craintes, c’est ce qu’il s’agit d’expliquer maintenant.

XIII. Si la crainte est un sentiment inhérent à la perspective d’une épreuve funeste, il est évident que personne ne craint rien : ni parmi ceux qui croient ne devoir rien éprouver, ni en fait d’épreuves dont on se croit exempt, ni de la part de gens de qui l’on n’en attend pas, ni dans les situations où l’on se croit à l’abri.

Il s’ensuit donc, nécessairement, que la crainte s’empare de ceux qui se croient exposés à une épreuve, qu’ils craignent ceux de qui ils l’attendent, ainsi que l’épreuve elle-même et la situation qui doit l’amener.

XIV. On ne se croit exposé aux épreuves ni lorsqu’on est, ni lorsqu’on se juge en pleine prospérité ; c’est ce qui rend arrogant, dédaigneux et téméraire. Ce qui nous met dans cette disposition, c’est la fortune, la force, l’étendue de nos relations d’amitié, la puissance. — Ni lorsqu’on croit avoir traversé des passes terribles, au point d’être trempé pour toute éventualité ; tels, par exemple, ceux qui ont déjà reçu la bastonnade. Seulement il faut qu’il y ait en nous un vague espoir de salut dans l’affaire où nous nous débattons. Une marque de cette vérité, c’est que la crainte nous rend capables de prendre un parti, tandis que personne ne délibère plus dans une situation désespérée