Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/247

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mais diffèrent entre elles pour les motifs précités, contribuent d’une façon semblable à faire qu’il n’y ait pas de place pour la pitié.

VI. Parlons d’abord de l’indignation et voyons contre qui l’on s’indigne ; pour quels motifs ; dans quel état d’esprit ; puis nous examinerons d’autres passions.

VII. On voit clairement ce qu’il en est d’après les explications qui précédent. En effet, si l’indignation consiste à s’affliger de voir quelqu’un réussir sans le mériter, il est dès lors évident que toutes les sortes de biens indistinctement ne feront pas naître l’indignation.

VIII. Ce ne sera jamais un homme, juste, ou brave, ou vertueux, qui suscitera l’indignation (car les diverses espèces de pitié n’auront pas de raison d’être à propos des contraires de ces qualités)[1] mais ce sera la richesse, le pouvoir et tels avantages dont, pour parler en général, sont dignes les gens de bien et ceux qui possèdent des biens naturels ; comme, par exemple, la noblesse, la beauté et toutes autres choses analogues[2].

IX. De plus, comme ce qui est ancien parait se rapprocher de ce qui est naturel, il en résulte nécessairement que, en présence d’un même bien donné, c’est contre ceux qui le possèdent depuis peu et lui doivent la prospérité que l’on s’indigne le plus vivement[3]. Car la vue des gens nouvellement riches nous affecte plus que celle des gens qui le sont d’ancienne date et de naissance. Il en est de même de ceux qui possèdent

  1. Or, comme on l’a vu, la pitié est l’opposé de l’indignation.
  2. Ce seront ces avantages qui susciteront l’indignation si nous les jugeons immérités.
  3. Toujours dans la même hypothèse.