Page:Aristote - Production et destruction des choses, Ladrange, 1866.djvu/469

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que son intelligence ne peut le comprendre. Si les pensées de notre esprit, dit Gorgias, ne sont pas des êtres, l’être ne peut pas être pensé ; et cela est tout simple. De même en effet que, si les choses qu’on pense être blanches sont en réalité pensées comme blanches, de même ai les choses pensées ne sont pas des êtres, il s’ensuivra de toute nécessité qu’on ne peut penser des êtres réels. C’est là un raisonnement fort juste et très conséquent ; si les choses pensées ne sont pas des êtres, l’être ne peut être pensé. Les choses pensées, c’est là une première hypothèse qu’il faut admettre, ne sont pas les êtres, ainsi que nous l’établirons. Donc l’être n’est pas pensé. Que les choses pensées ne soient pas des êtres, c’est ce qui est évident de soi ; car si les pensées étaient les réalités, alors tout ce qu’on pense existerait et de la façon même qu’on le penserait, quelle que fut d’ailleurs cette façon ; ce qui est évidemment absurde et est tout à fait insensé, si on le suppose. Par exemple, si on se plaît à supposer un homme qui vole dans les airs et des chars qui roulent sur les flots, il ne s’ensuit pas par cela seul qu’en effet l’homme puisse voler et les chars rouler sur les mers de l’Océan. Ainsi, les pensées qu’on peut avoir ne sont pas des réalités.

Il faut ajouter que, si les choses pensées sont des êtres, il s’ensuit que les choses qui ne sont pas ne pourront pas être pensées ; car les propriétés contraires appartiennent aux contraires. Or le non-être est le contraire de l’être. Si donc l’être peut être pensé, comme on le croit, il s’ensuit que le non-être ne pourra pas être pensé. Mais c’est-là une absurdité ; car on pense et Scylla et la Chimère et tant d’autres choses qui n’ont aucune existence.