Page:Armagnac - Quinze Jours de campagne, 1889.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ravitailler, et je commençai à me rendre compte de la difficulté que présente l’approvisionnement d’une armée, même dans un pays riche qui offre, en temps ordinaire, de grandes ressources. Nous arrivâmes, l’après-midi, après une longue marche dans des chemins si détrempés par la pluie qu’on y enfonçait jusqu’à la cheville, à un petit village où le gros de l’armée venait de passer. Figurez-vous un champ ravagé par une nuée de sauterelles : il ne restait rien, rien. Quelque prix que l’on offrît, on ne pouvait obtenir ni pain, ni vin, ni quoi que ce fût. Après avoir vainement frappé à maintes portes, nous entrâmes, mon ami et moi, dans une petite chaumière. La maîtresse du logis, une pauvre paysanne, se croyant enfin débarrassée des visites importunes d’hôtes affamés, venait de mettre au feu une soupe aux pommes de terre. Elle n’avait encore rien mangé de la journée et fit, en nous apercevant, un geste de désespoir. Son premier mouvement fut de vouloir nous renvoyer doucement. « Eh ! mes pauvres enfants, je n’ai plus rien ! » Au bout d’un instant, cependant, voyant nos mines hâves et fatiguées, elle nous fit asseoir, nous dit d’attendre, et quand la soupe fut chaude, nous en donna à chacun une pleine assiettée. Je n’ai jamais rien mangé de, meilleur. Malgré toutes nos instances, elle ne voulut rien accepter de nous. Je me rappellerai longtemps la bonne vieille du petit village de Semuy et la soupe aux pommes de terre. Dieu, qui ne laisse pas sans récompense un verre d’eau donné en son nom, tiendra compte à cette excellente femme de sa bonté pour nous. Si jamais, loin de leur pays, ses enfants ont à demander l’hospitalité, puissent-ils trouver partout un accueil semblable à celui que leur mère nous donna !