Page:Armaingaud - La Boétie, Montaigne et le Contr’un - Réponse à R. Dezeimeris.djvu/6

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rien non plus qui ressemble aux événements qu’avaient sous les yeux, soit La Boétie en 1548, quand il composa le Discours, soit les publicistes qui, en 1574 et 1576, le firent paraître pour la première fois.

M. Dezeimeris, il n’est que trop facile de le montrer, a laissé échapper presque autant de méprises, ou présenté autant de « conjectures paradoxales » qu’il a avancé de propositions : pas une ne résiste à un examen attentif.


I. Charles était-il un tyran ?


C’est une singulière idée de supposer qu’un écrivain, voulant représenter le type du tyran, ait pu, je ne dis pas fixer son choix sur Charles VI, mais même penser à lui, roi deux fois mineur, par l’âge au début de son règne et plus tard par la démence, roi surnommé le Bien-Aimé, et qui, de l’aveu de tous les auteurs du temps, a réellement mérité ce surnom. N’est-ce pas hasarder un paradoxe insoutenable, et se heurter comme à plaisir à une impossibilité, que de désigner comme le type du tyran un pauvre souverain qui, en quarante-deux ans de règne, fut en proie à la folie, par conséquent irresponsable, pendant trente-deux ans ; dont le premier acte, quand il prit réellement possession du pouvoir, quatre ans avant sa folie, avait été de renvoyer ses oncles, de vrais tyrans ceux-là, et de les remplacer comme conseillers par les amis de son père Charles V, chargés de réparer le mal qu’avaient fait ses indignes tuteurs ? Ces quatre années, les seules où il put diriger lui-même le gouvernement, autant que le lui permettait sa jeune expérience, furent aussi les seules années de son long règne où de réels efforts furent faits pour soulager la misère du peuple. Après ces quatre ans de collaboration avec les seuls conseillers de son choix, ses oncles profitèrent de sa démence pour reprendre le pouvoir, qu’ils ne quittèrent plus jusqu’à la fin du règne, traînant avec eux, et exploitant au profit de leur ambition « cette ombre auguste, malheureuse et plaintive, autour de laquelle s’agitait un monde réel de sang et de fête »[1].

  1. Chateaubriand, Études historiques, t. IV, p. 200.