Page:Armand - L’illégaliste anarchiste est-il notre camarade, 2016.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

procurent leurs efforts ? La renommée colporte leurs noms « d’un bout du monde à l’autre bout » ; ils ont des disciples, des traducteurs, des diffamateurs, des persécuteurs. Pourquoi donc comptent-ils tout cela ?

Je trouve équitable que toute peine reçoive salaire, dans tous les domaines ; il est équitable que si on pâtit de ses opinions, on en retire aussi du profit. Ce qui importe, c’est que par violence, tromperie, ruse, vol, fraude, ou imposition d’aucune sorte, ce profit ne se réalise pas au détriment ni aux griefs et torts de ses camarades, de ceux de « son monde ».

Dans le milieu social actuel, l’anarchie s’étend de Tolstoï à Bonnot : Warren, Proudhon, Kropotkine, Ravachol, Caserio, Louise Michel, Libertad, Pierre Chardon, Tchorny, les tendances qu’ils représentaient ou que représentent certains animateurs ou impulseurs vivants, dont les noms importent peu, sont comme les nuances d’un arc-en-ciel où chaque individualité choisit la teinte qui plaît davantage à sa vision.

En se plaçant au point de vue strictement individualiste anarchiste — et c’est par là que je conclurai, le critérium de la camaraderie ne réside pas dans le fait qu’on est employé de bureau, ouvrier d’usine, fonctionnaire, camelot, contrebandier ou cambrioleur — il réside en ceci que légal ou illégal, MON camarade cherchera d’abord à sculpter son individualité propre, à diffuser les idées anti-autoritaires partout où il le pourra, enfin — en se rendant la vie entre affinitaires la plus agréable qui soit — à réduire à un minimum de plus en plus faible la souffrance inutile et évitable.

Notes

(1) Un jour, à Bruxelles, je discutai la question avec Élisée Reclus. Il me dit, en forme de conclusion : « Je fais un travail qui me plaît, je ne me reconnais pas le droit de porter un jugement sur ceux qui ne veulent pas faire un travail qui ne leur plaît pas. »

(2) Bien que je ne possède pas les statistiques voulues, la lecture des journaux anarchistes indique que le chiffre des condamnés à tort au à raison — à la prison, au bagne, à l’échafaud, ou tués sur-le-champ — pour faits d’agitation anarchiste révolutionnaire (dont la « propagande par le fait ») laisse loin derrière lui le nombre des condamnés, à tort ou raison, ou tués sur-le-champ, pour illégalisme. Dans ces condamnations, les théoriciens de l’anarchisme révolutionnaire ont une large responsabilité, car ils n’ont jamais entouré la propagande en faveur du geste révolutionnaire des réserves qu’opposent à la pratique de l’illégalisme les « explicateurs » sérieux du geste illégaliste.

(3) L’anarchiste dont l’illégalisme s’attaque à l’État ou à des exploiteurs reconnus n’a jamais indisposé « l’ouvrier » à l’égard de l’anarchisme. Je me trouvais à Amiens lors du procès Jacob, qui s’en prit souvent à des officiers coloniaux ; grâce aux explications de Germinal, les ouvriers amiénois étaient très sympathiques à Jacob et aux idées de reprise individuelle. Même non anarchiste, l’illégal qui s’en prend à un banquier, à un usinier, à un manufacturier, à une trésorerie, à un fourgon postal, etc., est sympathique aux exploités qui considèrent comme des valets ou des mouchards les salariés qui défendent les écus ou le papier-monnaie de leur patron, particulier ou État. Des centaines de fois, il m’a été donné de le constater.

(4) Socialement parlant, le jour où les frais de garde de la propriété seront supérieurs à ce qu’elle rapporte, la propriété fille de l’exploitation aura disparu.


E. Armand