Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/129

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présente ; mais qu’il est bien vrai que Jésus-Christ, en prononçant ce mot, et ayant en même temps appliqué ses apôtres au pain qu’il tenait entre ses mains, ils ont vraisemblablement ajouté à l’idée confuse de chose présente signifiée par le terme hoc, l’idée distincte du pain, qui était seulement excitée et non précisément signifiée par ce terme.

Ce n’est que le manque d’attention à cette distinction nécessaire entre les idées excitées et les idées précisément signifiées qui fait tout l’embarras des ministres ; ils font mille efforts inutiles pour prouver que Jésus-Christ montrant du pain, et les apôtres le voyant et y étant appliqués par le terme de hoc, ils ne pouvaient pas ne pas concevoir du pain. On leur accorde qu’ils conçurent apparemment du pain, et qu’ils eurent sujet de le concevoir ; il ne faut point tant faire d’efforts pour cela ; il n’est pas question s’ils conçurent du pain, mais comment ils conçurent.

Et c’est sur quoi on leur dit que s’ils conçurent, c’est-à-dire s’ils eurent dans l’esprit l’idée distincte du pain, ils ne l’eurent pas comme signifiée par le mot de hoc, ce qui est impossible, puisque ce terme ne signifiera jamais qu’une idée confuse ; mais ils l’eurent comme une idée ajoutée à cette idée confuse et excitée par les circonstances.

On verra dans la suite l’importance de cette remarque, mais il est bon d’ajouter ici que cette distinction est si indubitable, que lors même qu’ils entreprennent de prouver que le terme de ceci signifie du pain, ils ne font autre chose que l’établir. Ceci, dit un ministre qui a parlé le dernier sur cette matière, ne signifie pas seulement cette chose présente mais cette chose présente que vous savez qui est du pain. Qui ne voit dans cette proposition que ces termes, que vous savez qui est du pain, sont bien ajoutés au mot de chose présente par une proposition incidente, mais ne sont pas signifiées précisément par le mot de chose présente, le sujet d’une proposition ne signifiant pas la proposition entière, et par conséquent dans cette proposition qui a le même sens, ceci que vous savez qui est du pain, le mot de pain est bien ajouté au mot de ceci, mais n’est pas signifié par le mot de ceci.

Mais qu’importe, diront les ministres, que le mot de ceci signifie précisément le pain, pourvu qu’il soit vrai que les apôtres conçurent que ce que Jésus-Christ appelle ceci était du pain.

Voici à quoi cela importe ; c’est que le terme de ceci ne signifiant de soi-même que l’idée précise de chose présente, quoique déterminée au pain par les idées distinctes que les apôtres y ajoutèrent, demeura toujours capable d’une autre détermination et d’être liée avec d’autres idées, sans que l’esprit s’aperçût de ce changement d’objet. Et ainsi quand Jésus-Christ prononça de ceci, que c’était son corps, les apôtres n’eurent qu’à retrancher l’addition qu’ils y avaient faites par les idées distinctes de pain ; et, retenant la même idée de chose présente, ils conçurent, après la proposition de Jésus-Christ achevée, que cette chose présente était maintenant le corps de Jésus-Christ : ainsi ils lièrent le mot de hoc, ceci, qu’ils avaient joint au pain par une proposition incidente, avec l’attribut du corps de Jésus-Christ. L’attribut de corps de