Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’aucuns hommes en particulier, qu’ils soient pieux ; mais l’esprit, joignant ensemble l’idée de pieux avec celle d’hommes, et en faisant une idée totale, juge que l’attribut de charitable convient à cette idée totale, et ainsi, tout le jugement qui est exprimé dans la proposition incidente est seulement celui par lequel notre esprit juge que l’idée de pieux n’est point incompatible avec celle d’homme, et qu’ainsi il peut les considérer comme jointes ensemble et examiner ensuite ce qui leur convient selon cette union.

2o Il y a souvent des termes qui sont doublement et triplement complexes, étant composés de plusieurs parties dont chacune à part est complexe ; et ainsi il peut s’y rencontrer diverses propositions incidentes et de diverse espèce, le qui de l’une étant déterminatif, et le qui de l’autre explicatif. C’est ce qu’on verra mieux par cet exemple : La doctrine qui met le souverain bien dans la volupté du corps, laquelle a été enseignée par Épicure est indigne d’un philosophe. Cette proposition a pour attribut, indigne d’un philosophe, et tout le reste pour sujet ; ainsi ce sujet est un terme complexe qui enferme deux propositions incidentes : la première est, qui met le souverain bien dans la volupté du corps ; le qui, dans cette proposition incidente, est déterminatif, car il détermine le mot de doctrine, qui est général, à celle qui affirme que le souverain bien de l’homme est dans la volupté du corps ; d’où vient qu’on ne pourrait, sans absurdité, substituer au qui le mot de doctrine, en disant : la doctrine met le souverain bien dans la volupté du corps. La seconde proposition incidente est qui a été enseignée par Épicure, et le sujet auquel ce qui se rapporte est tout le terme complexe : la doctrine qui met le souverain bien dans la volupté du corps, qui marque une doctrine singulière et individuelle, capable de divers accidents, comme d’être soutenue par diverses personnes, quoiqu’elle soit déterminée en elle-même à être toujours prise de la même sorte, au moins dans ce point précis, selon lequel on l’entend, et c’est pourquoi le qui de la seconde proposition incidente, qui a été enseignée par Épicure, n’est point déterminatif, mais seulement explicatif ; d’où vient qu’on peut substituer le sujet auquel ce qui se rapporte en la place du qui, en disant : la doctrine qui met le souverain bien dans la volupté du corps, a été enseignée par Épicure.

3o La dernière remarque est que, pour juger de la nature de ces propositions, et pour savoir si le qui est déterminatif ou explicatif, il faut souvent avoir plus d’égard au sens et à l’intention de celui qui parle, qu’à la seule expression.

Car il y a souvent des termes complexes qui paraissent incomplexes, ou qui paraissent moins complexes qu’ils ne le sont en effet, parce qu’une partie de ce qu’ils enferment dans l’esprit de celui qui parle est sous-entendue et non exprimée, selon ce qui a été dit dans le chapitre VIII de la première partie, où l’on a fait voir qu’il n’y avait rien de plus ordinaire dans les discours des hommes, que de marquer des choses singulières par des noms communs, parce que les circonstances du discours font assez voir qu’on joint à cette idée commune qui répond à