Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/30

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d’un instrument pour perfectionner sa raison[1], la justesse de l’esprit étant infiniment plus considérable que toutes les connaissances spéculatives auxquelles on peut arriver par le moyen des sciences les plus véritables et les plus solides : ce qui doit porter les personnes sages à ne s’y engager qu’autant qu’elles peuvent servir à cette fin, et à n’en faire que l’essai et non l’emploi des forces de leur esprit.

Si l’on ne s’y applique dans ce dessein, on ne voit pas que l’étude de ces sciences spéculatives, comme de la géométrie, de l’astronomie et de la physique, soit autre chose qu’un amusement assez vain, ni qu’elles soient beaucoup plus estimables que l’ignorance de toutes ces choses, qui a au moins cet avantage qu’elle est moins pénible, et qu’elle ne donne pas lieu à la sotte vanité que l’on tire souvent de ces connaissances stériles et infructueuses[2].

Non-seulement ces sciences ont des recoins et des enfoncements fort peu utiles, mais elles sont toutes inutiles, si on les considère en elles-mêmes et pour elles-mêmes[3]. Les hommes ne sont pas nés pour employer leur temps à mesurer des lignes, à examiner les rapports des angles, à considérer les divers mouvements de la matière : leur esprit est trop grand, leur vie trop courte, leur temps trop précieux pour l’occuper à de si petits objets ; mais ils sont obligés d’être justes, équitables, judicieux dans tous leurs discours, dans toutes leurs actions et dans toutes les affaires qu’ils manient, et c’est à quoi ils doivent particulièrement s’exercer et se former[4].

Ce soin et cette étude sont d’autant plus nécessaires,

  1. Excellente remarque qui maintient la supériorité du sujet pensant sur l’objet pensé.
  2. S’il y a de sottes vanités, n’y a-t-il point aussi d’aveugles dédains, et que penser de celui de Nicole pour les hautes sciences spéculatives ? — Quand ces sciences ne serviraient à rien, qu’à donner à l’esprit la conscience de sa grandeur, elles seraient encore au dessus de toutes les études ; mais les spéculations les plus inutiles en apparence sont presque toujours les plus fécondes dans la pratique même. L’histoire des sciences l’a assez montré.
  3. Affirmation vraiment choquante.
  4. La justice et la spéculation ne s’excluent pas.