Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/392

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si on en demeure là ; mais on peut les faire servir à des choses plus importantes ; et le principal usage qu’on doit en tirer est de nous rendre plus raisonnables dans nos espérances et dans nos craintes. Il y a, par exemple, beaucoup de personnes qui sont dans une frayeur excessive lorsqu’elles entendent tonner. Si le tonnerre les fait penser à Dieu et à la mort, à la bonne heure : on n’y saurait trop penser ; mais si c’est le seul danger de mourir par le tonnerre qui leur cause cette appréhension extraordinaire, il est aisé de leur faire voir qu’elle n’est pas raisonnable : car de deux millions de personnes, c’est beaucoup s’il y en a une qui meure de cette manière, et on peut dire même qu’il n’y a guère de mort violente qui soit moins commune. Puis donc que la crainte du mal doit être proportionnée non-seulement à la grandeur du mal, mais aussi à la probabilité de l’événement, comme il n’y a guère de genre de mort plus rare que de mourir par le tonnerre, il n’y en a guère aussi qui dût nous causer moins de crainte, vu même que cette crainte ne sert de rien pour nous le faire éviter.

C’est par là non-seulement qu’il faut détromper ces personnes qui apportent des précautions extraordinaires et importunes pour conserver leur vie et leur santé, en leur montrant que ces précautions sont un plus grand mal que ne peut être le danger si éloigné de l’accident qu’elles craignent, mais qu’il faut aussi désabuser tant de personnes qui ne raisonnent guère autrement dans leurs entreprises qu’en cette manière : Il y a du danger en cette affaire, donc elle est mauvaise ; il y a de l’avantage dans celle-ci, donc elle est bonne ; puisque ce n’est ni par le danger, ni par les avantages, mais par la proportion qu’ils ont entre eux qu’il faut en juger.

Il est de la nature des choses finies de pouvoir être surpassées, quelques grandes qu’elles soient, par les plus petites, si on les multiplie souvent, ou que ces petites choses surpassent plus les grandes en vraisemblance de l’événement qu’elles n’en sont surpassées en grandeur.