Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/462

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nement qui la résout n’est encore lui-même qu’une suite de traductions où une proposition qui traduit celle qui la précède est traduite par celle qui la suit. C’est ainsi que l’évidence passe avec l’identité depuis l’énoncé de la question jusqu’à la conclusion du raisonnement.

Condillac, Traité des sensations, viii.


L’ANALYSE.

Je suppose un château qui domine une campagne vaste, abondante, où la nature s’est plu à répandre la variété, et où l’art a su profiter des situations pour les varier et embellir encore. Nous arrivons dans ce château pendant la nuit. Le lendemain, les fenêtres s’ouvrent au moment où le soleil commence à dorer l’horizon, et elles se referment aussitôt.

Quoique cette campagne ne se soit montrée à nous qu’un instant, il est certain que nous avons vu tout ce qu’elle renferme. Dans un second instant, nous n’aurions fait que recevoir les mêmes impressions que les objets ont faites sur nous dans le premier. Il en serait de même dans un troisième. Par conséquent, si l’on n’avait pas refermé les fenêtres, nous n’aurions continué de voir que ce que nous avions d’abord vu. Mais ce premier instant ne suffit pas pour faire connaître cette campagne, c’est-à-dire pour nous faire démêler les objets qu’elle renferme ; c’est pourquoi, lorsque les fenêtres se sont refermées, aucun de nous n’avait pu se rendre compte de ce qu’il a vu. Voilà comment on peut voir beaucoup de choses et ne rien apprendre. Enfin les fenêtres se rouvrent pour ne plus se refermer tant que le soleil sera sur l’horizon, et nous revoyons longtemps tout ce que nous avons d’abord vu. Mais si, semblables à des hommes en extase, nous continuons, comme au premier instant, de voir à la fois cette multitude d’objets différents, nous n’en saurons pas plus, lorsque la nuit surviendra, que nous n’en savions lorsque les fenêtres qui venaient de s’ouvrir se sont tout à coup refermées.

Pour avoir une connaissance de cette campagne, il ne suffit donc pas de la voir toute à la fois ; il en faut voir chaque partie l’une après l’autre ; et, au lieu de tout embrasser d’un coup d’œil, il faut arrêter ses regards successivement d’un objet sur un objet…

Il en est de l’esprit comme de l’œil : il voit à la fois une multitude de choses, et il ne faut pas s’en étonner, puisque c’est à l’âme qu’appartiennent toutes les sensations de la vue. Cette vue de l’esprit s’étend comme la vue du corps. Si l’on est bien organisé, il ne faut à l’une et à l’autre que de l’exercice, et on ne saurait en quelque sorte circonscrire l’espace qu’elles embrassent. En effet, un esprit exercé voit, dans un sujet qu’il médite, une multitude de rapports que nous n’apercevons pas, comme les yeux exercés d’un grand peintre démêlent en un moment dans un paysage une multitude de choses que nous voyons avec lui et qui cependant nous échappent. Si nous réfléchissons sur la manière dont nous acquérons des connaissances par la vue, nous remar-