Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/477

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La seconde confirmation de la théorie se tire de l’expérience directe pratiquée selon la méthode de différence. Nous pouvons, en refroidissant la surface de n’importe quel corps, atteindre en tous les cas une température à laquelle la rosée commence à se déposer. Nous ne pouvons, à la vérité, faire cela que sur une petite échelle ; mais nous avons d’amples raisons pour conclure que la même opération, si elle était conduite dans le grand laboratoire de la nature, aboutirait au même effet.

Et finalement, nous sommes capables de vérifier le résultat, même sur cette grande échelle. Le cas est un de ces cas rares où la nature fait l’expérience pour nous, de la même manière que nous la ferions nous-mêmes, c’est-à-dire en introduisant dans l’état antérieur des choses une circonstance nouvelle, unique et parfaitement définie, et en manifestant l’effet si rapidement que le temps manquerait pour tout autre changement considérable dans les circonstances antérieures. On a observé que la rosée ne se dépose jamais abondamment dans des endroits fort abrités contre le ciel ouvert, et point du tout dans les nuits orageuses ; mais que, si les nuages s’écartent, fût-ce pour quelques minutes seulement, de façon à laisser une ouverture, la rosée commence à se déposer et va en augmentant. Ici, il est complètement prouvé que la présence ou l’absence d’une communication non interrompue avec le ciel cause la présence ou l’absence de la rosée. Mais puisqu’un ciel clair n’est que l’absence des nuages, et que les nuages, comme tous les corps entre lesquels et un objet donné il n’y a rien qu’un fluide élastique, ont cette propriété connue, qu’ils tendent à élever ou à maintenir la température de la surface de l’objet en rayonnant vers lui de la chaleur, nous voyons à l’instant que la retraite des nuages refroidira la surface. Ainsi, dans ce cas, la nature ayant produit un changement dans l’antécédent par des moyens connus et définis, le conséquent suit et doit suivre : expérience naturelle conforme aux règles de la méthode de différence.

Logique, I, 308 et suiv. (Traduit par M. Taine)