Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/82

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l’espèce et la distingue des autres espèces, elle doit avoir la même étendue que l’espèce, et ainsi qu’il faut qu’elles puissent se dire réciproquement l’une de l’autre, comme tout ce qui pense est esprit, et tout ce qui est esprit pense.

Néanmoins il arrive assez souvent que l’on ne voit dans certaines choses aucun attribut qui soit tel, qu’il convienne à toute une espèce, et qu’il ne convienne qu’à cette espèce ; et alors on joint plusieurs attributs ensemble, dont l’assemblage, ne se trouvant que dans cette espèce, en constitue la différence. Ainsi les platoniciens, prenant les démons pour des animaux raisonnables aussi bien que l’homme, ne trouvaient pas que la différence de raisonnable fût réciproque à l’homme : c’est pourquoi ils y en ajoutaient une autre, comme mortel, qui n’est pas non plus réciproque à l’homme, puisqu’elle convient aux bêtes ; mais toutes deux ensemble ne conviennent qu’à l’homme. C’est ce que nous faisons dans l’idée que nous nous formons de la plupart des animaux.

Enfin, il faut remarquer qu’il n’est pas toujours nécessaire que les deux différences qui partagent un genre soient toutes deux positives, mais que c’est assez qu’il y en ait une, comme deux hommes sont distingués l’un de l’autre, si l’un a une charge que l’autre n’a pas, quoique celui qui n’a pas de charge n’ait rien que l’autre n’ait. C’est ainsi que l’homme est distingué des bêtes en général, en ce que l’homme est un animal qui a un esprit, animal mente præditum, et que la bête est un pur animal, animal merum. Car l’idée de la bête en général n’enferme rien de positif qui ne soit dans l’homme ; mais on y joint seulement la négation de ce qui est en l’homme, savoir, l’esprit. De sorte que toute la différence qu’il y a entre l’idée d’animal et celle de la bête est que l’idée d’animal n’enferme pas la pensée dans sa compréhension, mais ne l’exclut pas aussi et l’enferme même dans son étendue, parce qu’elle convient à un animal qui pense ; au lieu que l’idée de bête l’exclut dans sa compréhension, et ainsi ne peut convenir à l’animal qui pense.

Du propre[1].

Quand nous avons trouvé la différence qui constitue une espèce, c’est-à-dire son principal attribut essentiel qui la distingue de toutes les autres espèces, si, considérant plus particulièrement sa nature, nous y trouvons encore quelque attribut qui soit nécessairement lié avec ce premier attribut, et qui par conséquent convienne à toute cette espèce et à cette seule espèce, omni et soli, nous l’appelons propriété ; et étant signifié par un terme connotatif, nous l’attribuons à l’espèce comme son propre ; et parce qu’il convient aussi à tous les inférieurs de l’espèce, et que la seule idée que nous en avons une fois formée peut représen-

  1. « La propriété est ce qui est entendu dans la chose comme une suite de son essence : par exemple, la faculté de parler, qui est une suite de la raison, est une propriété de l’homme. » Bossuet, Log., liv. Ier, ch. XLVI.