Page:Arnauld et Nicole - Logique de Port-Royal, Belin, 1878.djvu/85

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Toutes les additions qu’on ajoute aux noms qui marquent distinctement un individu sont de cette sorte ; comme quand on dit : Paris, qui est la plus grande ville de l’Europe ; Jules César qui a été le plus grand capitaine du monde ; Aristote, le prince des philosophes ; Louis XIV, roi de France. Car les termes individuels, distinctement exprimés, se prennent toujours dans toute leur étendue, étant déterminés tout ce qu’ils peuvent l’être.

L’autre sorte d’addition, qu’on peut appeler détermination, est quand ce qu’on ajoute à un mot général en restreint la signification, et fait qu’il ne se prend plus pour ce mot général dans toute son étendue, mais seulement pour une partie de cette étendue ; comme si je dis : Les corps transparents, les hommes savants, un animal raisonnable. Ces additions ne sont point de simples explications, mais des déterminations, parce qu’elles restreignent l’étendue du premier terme, en faisant que le mot de corps ne signifie plus qu’une partie des corps, le mot d’homme, qu’une partie des hommes, le mot d’animal, qu’une partie des animaux.

Et ces additions sont quelquefois telles, qu’elles rendent individuel un mot général, quand on y ajoute des conditions individuelles, comme quand je dis : Le pape qui est aujourd’hui, cela détermine le mot général de pape à la personne unique et singulière d’Alexandre VII.

On peut de plus distinguer deux sortes de termes complexes, les uns dans l’expression, et les autres dans le sens seulement.

Les premiers sont ceux dont l’addition est exprimée, tels que tous les exemples qu’on a rapportés jusqu’ici.

Les derniers sont ceux dont l’un des termes n’est point exprimé mais seulement sous-entendu, comme quand nous disons en France le roi, c’est un terme complexe dans le sens, parce que nous n’avons pas dans l’esprit, en prononçant le mot de roi, la seule idée générale qui répond à ce mot ; mais nous y joignons mentalement l’idée de Louis XIV, qui est maintenant roi de France. Il y a une infinité de termes dans les discours ordinaires des hommes qui sont complexes en cette manière, comme le nom de monsieur dans chaque famille.

Il y a même des mots qui sont complexes dans l’expression pour quelque chose, et qui le sont encore dans le sens pour d’autres ; comme quand on dit : Le prince des philosophes, c’est un terme complexe dans l’expression, puisque le mot de prince est déterminé par celui de philosophe ; mais au regard d’Aristote, que l’on marque dans les écoles par ce mot, il n’est complexe que dans le sens, puisque l’idée d’Aristote n’est que dans l’esprit, sans être exprimée par aucun son qui la distingue en particulier.

Tous les termes connotatifs ou adjectifs, ou sont parties d’un terme complexe quand leur substantif est exprimé ; ou sont complexes dans le sens quand il est sous-entendu : car, comme il a été dit dans le chapitre ii, ces termes connotatifs marquent directement un sujet, quoique plus confusément, et indirectement une forme ou un mode, quoique plus distinctement ; et ainsi ce sujet n’est qu’une idée fort générale et