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Page:Arnould - Quelques poètes, 1907.djvu/274

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Mes yeux jeunes ont vu mille et mille fois
dedans Rome, au palais d’un Cardinal françois,
un de ces animaux, dont l’affeté langage
artistement appris par un fréquent usage,
rapportait proprement d’un disert Orateur
les doux-graves discours : car d’un propos flatteur,
tantôt il entonnait de Pétrarque la Laure,
et tantôt de sa voix il allumait encore
les feux grégeois éteints ; et tantôt en latin,
il disait quelques vers ; puis quand son avertin
le prenait, il chantait tantost un Vau-de-Ville,
tantôt une Pavane, or d’une voix pupille
contrefaisait l’enfant, puis en discours divers
il amusait le peuple, or eu prose, or en vers[1].

Les oreilles d’ours, puis les trinitaires, lui rappellent ses traversées de la Savoie, alors qu’il se rendait à Rome par les sentiers abrupts que devait fouler plus tard Jean-Jacques Rousseau. Ces tableaux de nature sont assez pénétrants, et l’on sait à quel point ils sont rares dans notre poésie du 17e siècle. En voici un d’un étrange sentiment nerveux et moderne, dans une apostrophe à l’oreille d’ours :

 Hélas ! combien de fois, passant les monts touffus
des costeaux savoyards, et des tertres bossus,
des vallons résonnants, ai-je par grand’largesse
recueilli le plus beau de ta plaisante tresse,
cueilli, non pas cueilli, car en ta quantité
diverse, mon esprit était précipité :
si que, ne pouvant pas pour la grande distance
les pouvoir transporter es lieux de ma naissance,
forcené de dépit de voir tant de beautés,
et d’estoc et de taille es lieux précipités,

  1. Soit en prose soit en vers. — Avertin, vieux mot désignant une sorte de mouvement de folie.