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LE THÉATRE DE LA CRUAUTÉ

duelle du spectateur, le Théâtre de la Cruauté compte en revenir à tous les vieux moyens éprouvés et magiques de gagner la sensibilité.

Ces moyens, qui consistent en des intensités de couleurs, de lumières ou de sons, qui utilisent la vibration, la trépidation, la répétition soit d’un rythme musical, soit d’une phrase parlée, qui font intervenir la tonalité ou l’enveloppement communicatif d’un éclairage, ne peuvent obtenir leur plein effet que par l’utilisation des dissonances.

Mais ces dissonances, au lieu de les limiter à l’emprise d’un seul sens, nous les ferons chevaucher d’un sens à l’autre, d’une couleur à un son, d’une parole à un éclairage, d’une trépidation de gestes à une tonalité plane de sons, etc., etc.

Le spectacle, ainsi composé, ainsi construit, s’étendra par suppression de la scène, à la salle entière du théâtre et, parti du sol, il gagnera les murailles sur de légères passerelles, enveloppera matériellement le spectateur, le maintiendra dans un bain constant de lumière, d’images, de mouvements et de bruits. Le décor sera constitué par les personnages eux-mêmes, grandis à la taille de mannequins gigantesques, par des paysages de lumières mouvantes jouant sur des objets et des masques en perpétuel déplacement.

Et, de même qu’il n’y aura pas de place inoccupée dans l’espace, il n’y aura pas de répit, ni de place vide dans l’esprit ou la sensibilité du spectateur. C’est-à-dire qu’entre la vie et le théâtre, on ne trouvera plus de coupure nette, plus de solution de continuité. Et qui a vu tourner la moindre scène de film, comprendra exactement ce que nous voulons dire.

Nous voulons disposer, pour un spectacle de théâtre, des mêmes moyens matériels qui, en éclairage, en figuration, en richesses de toutes sortes, sont journellement gaspillés pour des bandes, sur lesquelles tout ce qu’il y