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UN ATHLÉTISME AFFECTIF

force un temps mâle, suivi sans solution de continuité trop sensible d’un temps féminin prolongé.

Le temps de penser à ne pas vouloir ou même de ne pas penser et voici qu’un souffle féminin fatigué nous fait aspirer une touffeur de cave, la moite haleine d’une forêt ; et sur le même temps prolongé nous émettons une expiration pesante ; cependant les muscles de notre corps entier, vibrant par régions de muscles, n’ont pas cessé de travailler.

L’important est de prendre conscience de ces localisations de la pensée affective. Un moyen de reconnaissance est l’effort ; et les mêmes points sur lesquels porte l’effort physique sont aussi ceux sur lesquels porte l’émanation de la pensée affective. Les mêmes servent de tremplin à l’émanation d’un sentiment.

Il est à noter que tout ce qui est féminin, ce qui est abandon, angoisse, appel, invocation, ce qui tend vers quelque chose dans un geste de supplication, s’appuie aussi sur les points de l’effort, mais comme un plongeur talonne les bas-fonds sous-marins pour remonter à la surface : il y a comme un jet de vide à la place où était la tension.

Mais dans ce cas le masculin revient hanter la place du féminin comme une ombre ; tandis que lorsque l’état affectif est mâle, le corps intérieur compose une sorte de géométrie inverse, une image de l’état retourné.

Prendre conscience de l’obsession physique, des muscles frôlés par l’affectivité, équivaut comme pour le jeu des souffles à déchaîner cette affectivité en puissance, à lui donner une ampleur sourde mais profonde, et d’une violence inaccoutumée.

Il apparaît ainsi que n’importe quel acteur, et le moins doué, peut par cette connaissance physique augmenter la densité intérieure et le volume de son sentiment, et une traduction étoffée suit cette prise de possession organique.