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DEUX NOTES

C’est là, dans cette atmosphère sacrée que Jean-Louis Barrault improvise les mouvements d’un cheval sauvage, et qu’on a tout à coup la surprise de le voir devenu cheval.

Son spectacle prouve l’action irrésistible du geste, il démontre victorieusement l’importance du geste et du mouvement dans l’espace. Il redonne à la perspective théâtrale l’importance qu’elle n’aurait pas dû perdre. Il fait de la scène enfin un lieu pathétique et vivant.

C’est par rapport à la scène et sur la scène que ce spectacle est organisé : il ne peut vivre que sur la scène. Mais il n’est pas un point de la perspective scénique qui n’y prenne un sens émouvant.

Il y a dans cette gesticulation animée, dans ce déroulement discontinu de figures, une sorte d’appel direct et physique : quelque chose de convaincant comme un dictame, et que la mémoire n’oubliera pas.

On n’oubliera plus la mort de la mère, avec ses cris qui reprennent à la fois dans l’espace et dans le temps, l’épique traversée de la rivière, la montée du feu dans les gorges d’hommes à laquelle sur le plan du geste répond une autre montée du feu et surtout cette espèce d’homme-cheval qui circule à travers la pièce, comme si l’esprit même de la Fable était redescendu parmi nous.

Seul jusqu’ici le Théâtre Balinais semblait avoir gardé une trace vivante de cet esprit perdu.

Qu’importe que Jean-Louis Barrault ait ramené l’esprit religieux avec des moyens descriptifs et profanes, si tout ce qui est authentique est sacré ; si ses gestes sont tellement beaux qu’ils en prennent un sens symbolique.

Certes, il n’y a pas de symboles dans le spectacle de Jean-Louis Barrault. Et si l’on peut faire un reproche à ses gestes, c’est de nous donner l’illusion du symbole, alors qu’ils cernent la réalité ; et c’est ainsi que leur action, pour violente qu’elle soit et active, demeure en somme sans prolongements.