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LE THÉATRE ET SON DOUBLE

de ses manifestations formelles qui sont d’ailleurs toujours des manifestations trépassées. Et si par exemple la foule actuelle ne comprend plus Œdipe Roi ; j’oserai dire que c’est la faute à Œdipe Roi et non à la foule.

Dans Œdipe Roi il y a le thème de l’Inceste et cette idée que la nature se moque de la morale ; et qu’il y a quelque part des forces errantes auxquelles nous ferions bien de prendre garde ; qu’on les appelle destin ces forces, ou autrement.

Il y a en outre la présence d’une épidémie de peste qui est une incarnation physique de ces forces. Mais tout cela sous des habits et dans un langage qui ont perdu tout contact avec le rythme épileptique et grossier de ce temps. Sophocle parle haut peut-être mais avec des manières qui ne sont plus d’époque. Il parle trop fin pour cette époque et on peut croire qu’il parle à côté.

Cependant une foule que les catastrophes de chemins de fer font trembler, qui connaît les tremblements de terre, la peste, la révolution, la guerre ; qui est sensible aux affres désordonnées de l’amour, peut atteindre à toutes ces hautes notions et ne demande qu’à en prendre conscience, mais à condition qu’on sache lui parler son propre langage, et que la notion de ces choses ne lui arrive pas à travers des habits et une parole frelatée, qui appartiennent à des époques mortes et qu’on ne recommencera jamais plus.

La foule aujourd’hui comme autrefois est avide de mystère : elle ne demande qu’à prendre conscience des lois suivant lesquelles le destin se manifeste et de deviner peut-être le secret de ses apparitions.

Laissons aux pions les critiques de textes, aux esthètes les critiques de formes et reconnaissons que ce qui a été dit n’est plus à dire ; qu’une expression ne vaut pas deux fois, ne vit pas deux fois ; que toute parole prononcée est morte et n’agit qu’au moment où elle est prononcée, qu’une forme employée ne sert plus et n’invite qu’à en