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Page:Artaud - Le théâtre et son double - 1938.djvu/83

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EN FINIR AVEC LES CHEFS-D’ŒUVRE

rechercher une autre, et que le théâtre est le seul endroit au monde où un geste fait ne se recommence pas deux fois.

Si la foule ne vient pas aux chefs-d’œuvre littéraires c’est que ces chefs-d’œuvre sont littéraires c’est-à-dire fixés ; et fixés en des formes qui ne répondent plus aux besoins du temps.

Loin d’accuser la foule et le public nous devons accuser l’écran formel que nous interposons entre nous et la foule, et cette forme d’idolâtrie nouvelle, cette idolâtrie des chefs-d’œuvre fixes qui est un des aspects du conformisme bourgeois.

Ce conformisme qui nous fait confondre le sublime, les idées, les choses avec les formes qu’elles ont prises à travers le temps et en nous-mêmes, — dans nos mentalités de snobs, de précieux et d’esthètes que le public ne comprend plus.

Il sera vain dans tout cela d’accuser le mauvais goût du public qui se gargarise d’insanités, tant qu’on n’aura pas montré au public un spectacle valable ; et je défie qu’on me montre ici un spectacle valable, et valable dans le sens suprême du théâtre, depuis les derniers grands mélodrames romantiques, c’est-à-dire depuis cent ans.

Le public qui prend le faux pour du vrai, a le sens du vrai et il réagit toujours devant lui quand il se manifeste. Pourtant ce n’est pas sur la scène qu’il faut le chercher aujourd’hui, mais dans la rue ; et qu’on offre à la foule des rues une occasion de montrer sa dignité humaine, elle la montrera toujours.

Si la foule s’est déshabituée d’aller au théâtre ; si nous avons tous fini par considérer le théâtre comme un art inférieur, un moyen de distraction vulgaire et par l’utiliser comme un exutoire à nos mauvais instincts ; c’est qu’on nous a trop dit que c’était du théâtre c’est-à-dire du mensonge et de l’illusion. C’est qu’on nous a habitués