Page:Artaud - Le théâtre et son double - 1938.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
LE THÉATRE ET SON DOUBLE

cette espèce de morsure concrète que comporte toute sensation vraie. De même que nos rêves agissent sur nous et que la réalité agit sur nos rêves, nous pensons qu’on peut identifier les images de la poésie à un rêve, qui sera efficace dans la mesure où il sera jeté avec la violence qu’il faut. Et le public croira aux rêves du théâtre à condition qu’il les prenne vraiment pour des rêves et non pour un calque de la réalité ; à condition qu’ils lui permettent de libérer en lui cette liberté magique du songe, qu’il ne peut reconnaître qu’empreinte de terreur et de cruauté.

D’où cet appel à la cruauté et à la terreur, mais sur un plan vaste, et dont l’ampleur sonde notre vitalité intégrale, nous mette en face de toutes nos possibilités.

C’est pour prendre la sensibilité du spectateur sur toutes ses faces, que nous préconisons un spectacle tournant, et qui au lieu de faire de la scène et de la salle deux mondes clos, sans communication possible, répande ses éclats visuels et sonores sur la masse entière des spectateurs.

En outre, sortant du domaine des sentiments analysables et passionnels, nous comptons faire servir le lyrisme de l’acteur à manifester des forces externes ; et faire rentrer par ce moyen la nature entière dans le théâtre, tel que nous voulons le réaliser.

Pour vaste que soit ce programme, il ne dépasse pas le théâtre lui-même, qui nous paraît s’identifier pour tout dire avec les forces de l’ancienne magie.

Pratiquement, nous voulons ressusciter une idée du spectacle total, où le théâtre saura reprendre au cinéma, au music-hall, au cirque, et à la vie même, ce qui de tout temps lui a appartenu. Cette séparation entre le théâtre d’analyse et le monde plastique nous apparaissant comme une stupidité. On ne sépare pas le corps de l’esprit, ni les sens de l’intelligence, surtout dans un domaine où la fatigue sans cesse renouvelée des organes