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PENSÉE FRANÇAISE

espèce particulièrement rare de sentiment, un sentiment discret, aristocratique — de la forme, tantôt bizarre, tantôt franchement funambulesque, rarement, je ne dirai pas classique, mais tout simplement humaine.

Mais cela n’est pas, ne saurait être. Maintenant qu’il se fait gloire, et avec raison, de cultiver la Blague pour l’amour de la Blague, il admettra qu’en le soupçonnant d’avoir voulu, par la part de funambulisme mêlée aux Phases, berner un peuple qui se délecte aux ahans de M. Caouette (le poète officiel de Québec) et aux « transpirations » de M. Chapman, j’ai voulu lui faire moins un reproche qu’un compliment. Lui et moi, nous nous sommes dit, lui à vingt ans, moi à trente-cinq, lui tout de go, moi après dix ans d’expérience, que puisqu’on n’est jamais sûr de pouvoir se mettre à la portée de Démos, même en prenant, pour lui parler, la langue des valets de Molière, le mieux est encore de s’amuser à ses dépens quand l’occasion s’en offre. Je reçus dernièrement la visite d’un monsieur dont j’ignorais le nom, mais qui devait ne pas être le premier venu : il avait des bottines Slater, un complet Fashion-Craft, un faux-col de chez Tooke, des gants Perrins, une cravate et des chaussettes des Royal Stores ; en faut-il davantage pour composer le gentilhomme ? Il me serra la main avec effusion, s’informa de mon voyage en Europe, et me félicita d’être sorti de la politique. « La sale affaire ! dit-il avec chaleur. Penser que vous, Asselin, vous avez été battu par Robillard — Robillard qui ne pense pas, ne parle pas, n’agit pas ! N’importe, j’ai bien travaillé pour vous, et je ne le regrette pas ». Je lui demandai s’il voulait « une place » ; à ma grande surprise il répondit non. Nous nous séparâmes meilleurs amis que jamais. S’il n’en tenait qu’à moi, ce brave homme qui me connaît, qui a travaillé pour moi (pourquoi m’aurait-il menti ? il ne demandait rien), et qui, com-