Page:Association des écrivains et artistes révolutionnaires - Commune, numéros 5 à 10, janvier à juin 1934.djvu/473

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pour de gros armateurs, comme les ouvriers pour le patron de leur usine.

— Jamais je n’accepterai, gronda pépé Anton’.

Il se leva, regarda l’eau d’où montait une odeur fraîche, puis le café La Marine maintenant silencieux. Bon, c’était l’heure d’aller se coucher : il alluma sa lampe-tempête. Des rats couraient furtivement, qu’il trouvait parfois installés dans son cagibi. Avant de s’allonger, il remua sa paillasse ; il éteignit, ferma les paupières. Il s’éveillait le plus souvent dès l’aurore, une vieille habitude de pêcheur.

Cette nuit-là, il se réveilla avant. L’air pesait, orageux. Il rejeta sa couverture et resta immobile, dans le noir. Il était seul sur l’Andromède, qui n’enfermait qu’un homme dans ses flancs, après en avoir enfermé combien ? Il était parvenu à reconstituer l’histoire du cargo et de ses voyages, en déchiffrant, ça et là, des noms : Alger, Alicante, 24 juin 1907, Gênes, Trieste, Marseille, Casablanca. Portalis lui avait montré sur la carte la position de ces grands ports. La coque de l’Andromède avait fendu les eaux de l’Atlantique et celles de la Méditerranée, cette même coque qui trempait désormais dans une eau morte, vide après avoir été pleine de marchandises précieuses comme le blé, utiles comme la chaux. Si l’Andromède avait rendu de longs services, pourquoi n’en était-il pas de même des autres cargos, plus modernes ? N’y avait-il pas toujours des hommes qui attendaient du blé pour vivre, de la chaux pour construire leurs maisons ? « C’est la crise dans le monde capitaliste », lui expliquait Portalis. C’était peut-être une des raisons…

Pépé Anton’ pensa qu’on vivait plus heureux dans leur île. On mangeait des patates, des tomates, du poisson, presque jamais de viande ; mais on mangeait tous ! Il n’y avait pas de chemin de fer, pas beaucoup d’autos et de mécaniques, ni affiches, ni journaux, ni T.S.F. — voilà ce qu’on trouvait chez ceux du continent, aux dires de Portalis. — Il y avait des pierres et des herbes sauvages, des