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Page:Association des anciens élèves de l’École normale, 1886-1889.djvu/531

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DE L’ÉCOLE NORMALE

mère trouve que c’est assez. Quelqu’un parle devant lui de l’École Normale supérieure. Va pour l’École Normale supérieure ! Il arrive à Paris, entre à l’institution Barbet-Massin. Sa place dans la première composition au lycée Charlemagne l’étonne un peu, je dirais presque l’effraie, s’il eût été homme à effrayer. Mais c’était un vaillant : les camarades sont plus forts que lui ; eh bien, il travaillera et les rattrapera. Il travailla si bien, qu’en 1852 il entrait à l’École.

Tous ceux qui l’ont connu là ont gardé le souvenir de son intarissable gaîté : l’écolier de Châteauroux vivait encore dans le futur professeur. Au sortir de l’École il fut envoyé à Chaumont, puis à Angers, à Douai, et enfin à Versailles. Pendant ces années de voyage, il n’avait pas perdu son temps, car il s’était marié, et il avait été reçu successivement à l’agrégation de grammaire et à l’agrégation des lettres. Il s’était aussi essayé au dessin : c’est dans ses premières années de professorat qu’il composa sa spirituelle grammaire latine en images, où des écoliers mettent en action les règles de Lhomond. Ludovicus rex y devient Pichu, collégien, ébouriffé, dégingandé, les yeux ronds, vraie tête de potache ; et aptus ad militiam, traduit par : Se destine à Saint-Cyr, accompagne un grand garçon raide, coiffé sur l’oreille et sanglé militairement dans sa tunique.

Girardin resta à Versailles jusqu’à sa mort, toujours professeur de quatrième : il aimait cet âge où les enfants, encore naïfs, s’essayent maladroitement à être des hommes, et où il faut si peu de chose pour les faire tourner du côté du bien ou du côté du mal. Lui, il savait les engager dans la bonne voie, ou plutôt la leur faire choisir ; et il prenait une grande influence sur eux, parce qu’il les aimait et que son affection attirait la leur. Il punissait peu ; une douce raillerie les corrigeait mieux qu’un pensum ; et peu de professeurs ont conservé parmi leurs anciens élèves un plus grand nombre d’amis.

Plus tard, quand il fut devenu un écrivain, il se fit bien d’autres amis, qui ne le virent jamais. Que de jeunes gens, inquiets de la vie, embarrassés du choix d’une carrière, tourmentés par le découragement, doutant du bien, doutant d’eux-mêmes et ne sachant où se prendre, devinèrent en lui un conseiller bienveillant et délicat, qui ne les repousserait point, et lui écrivirent pour lui confier leurs peines. Il répondait toujours : ce qu’il a fait de bien ainsi, lui seul le savait ; de loin en loin seulement, comme il avait la joie communicative, il aimait à annoncer à ses intimes qu’un de ses correspondants inconnus se déclarait tiré d’affaire, grâce à ses conseils, et il en était heureux, comme s’il se fût agi d’un de ses enfants.

Y a-t-il un hasard dans les choses de ce monde ? J’aime mieux croire que la Providence s’en mêle, et qu’elle fit naître l’occasion à laquelle nous devons ces charmants écrits de Jules Girardin. Il cherchait quelque chose à faire, il ne savait pas trop quoi ; en tout cas il cherchait un travail qui pût augmenter ses ressources, car il était marié et père de famille, et on se souvient de ce qu’était le traitement des professeurs divisionnaires. M. Joguet, alors proviseur du lycée de Versailles, le présenta à M. Édouard Charton, directeur du Magasin Pittoresque, comme une bonne recrue pour son journal. Comme essai, M. Charton lui confia un article qui devait accompagner une gravure faite d’après un tableau de Lajoue, peintre peu connu, qui n’a que la renommée qu’il mérite. Vingt ans après, Girardin riait encore de la peine qu’il