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Alors commença le drame horrible dont nous allons entretenir nos lecteurs. Lepage, jusqu’alors accoudé sur la table et enseveli dans les rêveries, se leva et fit quelques tours dans la chambre à pas lents, puis s’arrêta près de l’endroit où dormait sa victime. Il écouta, d’un air inquiet, son sommeil inégal et entrecoupé de paroles sans suite. « Il n’est, pas encore entièrement sous l’influence de l’opiat » se dit-il et il retourna s’asseoir sur un sopha. La lumière qui brûlait sur la table laissait échapper une lueur lugubre qui donnait un relief horrible à son visage sinistre enfoncé dans l’ombre ; relief horrible, non par l’agitation qui se peignait sur des traits d’acier, mais par le calme muet et l’expression d’une tranquilité effrayante. Il se leva de nouveau, s’avança près d’une armoire et en sortit un marteau qu’il contempla avec un sourire de l’enfer : le sourire de Shylock, lorsqu’il aiguisait son couteau et qu’il contemplait la balance dans laquelle il devait peser la livre de chair humaine qu’il allait prendre sur le cœur d’Antonio. Il donna un nouvel éclat à sa lumière ; puis, le marteau d’une main et enveloppé dans les plis de son immense robe, il alla s’asseoir près du lit du malheureux Guillemette.

Il considéra, pendant quelque tems, son sommeil paisible, avant-coureur de la mort qui ouvrait déjà ses bras pour le recevoir ; il écouta un moment les palpitations de son cœur : — quelque chose d’inexprimable et qui n’est pas de ce mon-