désert, « pource que tous deschargeoient leurs haines sur lui[1]. » C’est cette humeur frondeuse et cette opposition systématique qui expliquent la conduite d’Henri IV envers d’Aubigné. Henri IV se rendait compte que d’Aubigné était avant tout homme d’opposition ; aussi il ne l’appelait point dans ses conseils, il ne lui confiait aucune charge dans les armées ; il le laissait loin de la cour dans sa Saintonge ; parfois même il s’irritait contre cet agitateur infatigable. Mais parfois aussi il se rappelait combien d’Aubigné s’était montré courageux et fidèle aux jours d’épreuve, et il se sentait repris de sympathie pour ce batailleur qui lui rappelait les luttes et les espérances de sa jeunesse. Ces jours-là, il lui pardonnait l’amitié qu’en dépit du roi d’Aubigné conservait à la Trémoille, duc de Thouars[2] ; ou bien encore il lui mettait dans les bras le petit César de Vendôme, le fils de Gabrielle d’Estrées, et lui demandait de l’élever lui-même, en Saintonge ; s’il était gravement malade, comme il le fut en 1596 à Traversy, devant la Fère, pour quelques heures d’Aubigné redevenait son confident, et il lui exposait les inquiétudes de sa conscience[3]. D’Aubigné, lui aussi, était toujours attaché à Henri IV, malgré son abjuration. Si, dans la Vie à ses enfants, il se laisse parfois entraîner par ses griefs personnels à faire de lui un portrait peu flatteur, quand il l’aura perdu, il ne lui épargnera pas les louanges ni les larmes dans le Discours par stances, il lui redeviendra publiquement favorable dans l’Histoire universelle, qu’il compose à la gloire de ce roi « justement surnommé le Grand[4] ».
Après l’assassinat d’Henri IV, d’Aubigné accusa plus encore son attitude de mécontent : plus que jamais il se posa en serviteur disgracié, en adversaire de toutes les nouveautés ; en toute occasion, il montra qu’il était le descendant de cette « race féodale et frondeuse qui avait toujours regimbé sous le niveau »[5]. Il protesta contre
- ↑ Cf. I, 71, Vie. Les protestants, selon une expression consacrée, allaient pendant les guerres de religion écouter la parole de Dieu « au désert » ; les prêches se tenaient en effet dans des lieux écartés et déserts.
- ↑ Cf. I, 76, Vie.
- ↑ Cf. I, 69, Vie.
- ↑ Cf. Hist. univ., I, 8.
- ↑ Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, X, 276.